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était une grande chose. Comme les tribuns avaient pour mission de soutenir les droits politiques des plébéiens, les édiles étaient surtout chargés de protéger leurs intérêts matériels et d’assurer leur subsistance. Les tribuns veillaient à ce que la plebs ne fût pas opprimée, les édiles à ce qu’elle ne mourût pas de faim. C’est pour cela que leur office était attaché au temple de Cérès, et que ce temple avait pu leur donner leur nom.

L’empire, qui méprisait le peuple en le nourrissant, lui donna du pain et les jeux du cirque. Les édiles les lui avaient aussi donnés ; mais le jour où furent créés les tribuns et les édiles, les plébéiens avaient obtenu sur le Mont-Sacré ces deux choses que doivent aux peuples tous les gouvernemens qui ne les méprisent pas : du pain et la liberté. Il est tout simple que les empereurs ne fussent pas favorables à l’édilité, c’étaient eux qui s’étaient chargés de la nourriture de leurs esclaves. Déjà sous la république les censeurs avaient pris la haute main dans la construction des édifices publics, et les tribuns la part principale dans la défense des intérêts démocratiques. Ainsi dépouillés peu à peu, les édiles tombèrent de la situation qui les mettait en passe de remplacer les consuls à celle où on leur permettait de surveiller les cabarets et de faire balayer les rues.

À peine cependant le tribunat a-t-il commencé d’exister, que déjà il remporte une victoire signalée sur le patriciat dans l’affaire de Coriolan. Coriolan était de la famille sabine des Mardi[1]. Un tel patricien ne pouvait être que Sabin. En effet, Caïus Marcius Coriolanus était le patricien par excellence, superbe, dur aux plébéiens comme un Claudius, de plus brillant à la guerre, fougueux, emporté, agressif. Le premier Appius Claudius fut le type de l’aristocratie qui résiste, Coriolan de l’aristocratie qui brave et défie ceux qu’elle mécontente. Aussi fut-il entraîné par son fougueux orgueil à porter les armes contre son pays, et il mourut dans l’exil. On rapportait de lui plusieurs traits de générosité, il y avait du chevalier dans le dur aristocrate ; jeune, il avait porté les armes contre les Tarquins, et plus tard pris aux Volsques la ville de Coriole[2]). Ce

  1. Marcius ou Martius était le surnom du roi sabin Ancus Marcius. Ce mot est dérivé de Mars, dieu sabin.
  2. Niebuhr pense que Coriolan s’appelait ainsi parce qu’il était né à Coriole, et nie que le surnom de Coriolanus ait pu être donné a Marcius à cause de la prise de cette ville, qui, dit-il, était latine, par conséquent alliée de Rome à cette époque, et n’a pu, pour cette raison, être traitée en ville ennemie ; mais elle pouvait avoir été occupée par les Volsques, car elle n’était pas loin d’Antium. Qu’elle figure dans le catalogue des trente villes latines donné par Pline, cela ne prouve rien, car, bien que ces villes aient fait partie de la confédération latine, on ne saurait affirmer que toutes aient été en paix avec les Romains au temps de Coriolan. Enfin Niebuhr dit que, selon le témoignage de Tite-Live, Scipion l’Africain reçut le premier un surnom tiré du nom du pays qu’il avait vaincu ; mais on peut répondre que l’assertion de Tite-Live se rapporte aux surnoms empruntés à un pays conquis comme l’Afrique, l’Asie, la Numidie, la Crète, et non à la prise d’une ville.