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les vicissitudes des luttes extérieures des Romains contre les peuples qui les entourent et les pressent de tous côtés, nous n’aurons qu’à regarder à l’horizon la sublime campagne romaine et ces montagnes qui l’encadrent si admirablement. Elles sont encore plus belles, et l’œil prend encore plus de plaisir à les contempler, quand on songe à ce qu’elles ont vu d’efforts et de courage dans les premiers temps de la république. Il n’est presque pas un point de cette campagne qui n’ait été témoin de quelque rencontre glorieuse ; il n’est presque pas un rocher de ces montagnes, qui n’ait été pris et repris vingt fois.

Toutes ces nations sabelliques qui dominaient la ville du Tibre et semblaient placées là sur des hauteurs disposées en demi-cercle pour l’envelopper et l’écraser, toutes ces nations sont devant nous et à la portée du regard. Voici du côté de la mer les montagnes des Volsques ; plus à l’est sont les Herniques et les AEques ; au nord, les Sabins ; à l’ouest, d’autres ennemis, les Étrusques, dont le mont Giminus est le rempart. Au sud, la plaine se prolonge jusqu’à la mer. Ici sont les Latins, qui, n’ayant pas de montagnes pour leur servir de citadelle et de refuge, commenceront par être des alliés. Nous pouvons donc embrasser le panorama historique des premiers combats qu’eurent à soutenir et que soutinrent si vaillamment les Romains affranchis.

Mais rentrons d’abord dans Rome. Deux classes, deux races, deux villes, comme dit Denys d’Halicarnasse, sont en présence et en guerre, se haïssant l’une l’autre, toujours prêtes, ce semble, à se séparer, mais finissant toujours par s’unir pour défendre en commun une patrie libre. Ces dissensions naissent avec la république. Le lendemain de la bataille du lac Régille, l’orgueil patricien, la vieille dureté sabine, sont aux prises avec la souffrance et la colère des fils opprimés du Latium. De là des luttes sans cesse renouvelées, et qui eurent constamment le caractère d’une guerre civile au fond de laquelle était une guerre nationale.

À Rome, le patriciat, avec ses habitudes de parcimonie sabine, fut toujours une aristocratie avare, vice rare chez les aristocraties. Peut-être l’aristocratie romaine n’en est-elle pas encore entièrement corrigée. Ce fut là ce qui devait soulever les premières tempêtes. Les patriciens prêtaient aux plébéiens pauvres et prêtaient à un intérêt très élevé ; les plébéiens ne pouvaient s’acquitter. Alors ils appartenaient aux patriciens, ils devenaient nexi[1]. Des créanciers impitoyables

  1. Ce mot indique un engagement légal et non la mise aux fers qui en était la suite, et qu’exprime le mot vincti. Telle est au Mexique la condition des peones, qui ne sont point esclaves de droit, mais le deviennent en Tait quand ils ne peuvent s’acquitter envers leurs maîtres.