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seule vraiment féconde était de rester unis. C’était pour les personnes la plus sûre manière de grandir, et pour les choses le seul moyen de se fonder. Il fallait faire durer ce 11 octobre le plus longtemps qu’on aurait pu, sans toucher à son équilibre, sans toucher à son président, car en perdant cette grande figure le cabinet s’affaiblissait, et n’en tirait d’autre profit que d’ouvrir une brèche à ses vrais adversaires, à ce parti moyen, ce tiers-parti, qui commençait à poindre. La plus simple prudence commandait de s’en garantir, d’isoler, de tenir à distance cette phalange d’honnêtes indécis qui, par amour de la conciliation, semaient, sans s’en douter, la division et la discorde ; mais on se croyait si fort ! le danger semblait déjà si loin ! A quoi bon tant de précautions ? Tout le monde y fut pris, le pays, les chambres, la couronne elle-même.

Rien ne fait mieux sentir cette sorte de laisser-aller et de confiance au fond des choses que l’apparition soudaine, inexplicable, d’un nouveau cabinet improvisé vers cette époque au grand étonnement du public, cabinet dont presque tous les membres appartenaient au tiers-parti. Ce jeu compromettant ne dura que trois jours ; mais, tout rapide qu’il était, un abandon même apparent de la politique du 13 mars et des principes de résistance devait porter ses fruits. Le tiers-parti s’en prévalut, redoubla d’importance, de prétentions et de mauvaise humeur. La lutte devint plus vive, et, bien qu’après cette éclipse, le cabinet du 11 octobre se fût complété, et même rajeuni par le retour d’un de ses plus illustres fondateurs, devenu désormais son chef, et par l’adjonction encore récente d’un défenseur nouveau, le plus jeune de tous et non le moins habile, bien qu’il dût ainsi retrouver de brillantes journées et rendre à la monarchie les plus signalés services, il n’était pas destiné à survivre longtemps.

Était-ce un de ces cabinets qui meurent, mais qui ressuscitent ? Non, les embarras de sa naissance interdisaient l’espoir de sa résurrection. Pour qu’il revînt au monde, il eût fallu que son maintien parût à tous ses membres également nécessaire, et que la possibilité d’une action séparée ne fût admise par aucun d’eux. Tous ils furent loyalement fidèles, tant qu’il y eut un drapeau commun ; mais du jour où le drapeau tomba, quelques-uns se crurent dégagés, ce qui ne veut pas dire qu’il y eût déjà chez eux un parti-pris d’isolement. Peut-être même, si la couronne avait alors compris que sa propre force était intéressée à maintenir ce faisceau, et si, par un calcul dont presque tous les, princes se transmettent l’exemple, elle n’eût pas semblé croire qu’elle multipliait ses ressources en n’encourageant pas les fidélités posthumes, peut-être aurait-on vu s’unir, même en dehors du pouvoir, et rester de concert, comme en