Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/607

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’intérieur dès les premiers jours d’août 1830 ; mais, depuis ces trois mois de rude apprentissage, il était resté libre, tout à fait en dehors de l’administration, et si, comme orateur, il avait reparu sur la brèche et repoussé plus d’un assaut, c’était avec l’indépendance d’un simple volontaire. Les succès ne lui avaient pas manqué : son talent de parole, sans s’être encore élevé aussi haut, sans être aussi complet que nous l’avons vu depuis, était déjà d’une puissance et d’un éclat que personne n’aurait pu contester. D’où vient donc que, dans les pourparlers qui précédèrent la formation du cabinet du 11 octobre, le chef du gouvernement et ceux qui l’assistaient dans sa tâche ne portèrent pas tout d’abord et d’eux-mêmes leurs regards sur M. Guizot ? Comprend-on que si le duc de Broglie n’avait pas fait de cette nomination la condition sine qnâ non de la sienne, on laissait une telle force en dehors, on se privait volontairement d’un tel champion ? Que dis-je ? le duc de Broglie y aurait échoué lui-même, si par expédient l’idée ne fût venue de cacher l’orateur, le publiciste, l’homme d’état sous la robe du professeur, et de faire amnistier, par son évidente aptitude au ministère de l’instruction publique, la témérité grande d’oser le nommer ministre. Qu’avait donc fait M. Guizot pour que ce fût une si grosse affaire de l’admettre au conseil, et pour que, tout en l’accablant d’éloges et en exaltant ses talens, on semblât redouter son concours ? Que l’opposition eût peur de lui, cela se conçoit ; mais ce n’est pas l’opposition qui nomme et soutient les ministres. D’où vient donc que dans son parti, à l’exception d’un, groupe d’amis fidèles qui l’acceptaient sans embarras et même avec orgueil comme l’éloquent organe de leurs propres pensées, d’où vient qu’à cette époque on s’effrayait de s’associer à lui ? Était-ce le fantôme de la restauration qui causait tant d’émoi ? M. Guizot l’avait servie sans doute, et dans le gros du parti, qui ne s’informait pas s’il s’en était noblement séparé, c’était vraiment un embarras ; mais pour les gens plus avisés qu’il s’agissait de satisfaire, là n’était pas le péché capital, car d’autres serviteurs de la restauration, tout à la fois plus compromis et moins compromettans, avaient trouvé grâce, à leurs yeux. La vraie cause de ces hésitations était dans l’attitude qu’avait prise, dans le langage qu’avait tenu depuis deux ans M. Guizot : non que sa parole fût blessante et qu’il attaquât les personnes ; nul n’avait envers elles moins de fiel et plus de ménagemens, mais il avait pris l’habitude d’appeler les choses par leur nom, de dire tout haut, tout franchement des vérités incommodes, de déclarer au pays qu’il était sérieusement malade, que son mal s’appelait l’esprit révolutionnaire, qu’il n’y avait qu’un remède, l’esprit de résistance et de légalité. Or ce genre de consultation ne