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pas prévu cette dextérité qui passe entre les écueils sans paraître les fuir ? Assurément c’est quelque chose, pour justifier un coup hardi, qu’un art aussi sûr de lui-même. Ce n’est pourtant pas là ce qui m’a converti. Je crois encore qu’à devancer ainsi l’heure véritable de l’histoire il y a plus d’un inconvénient ; mais ces inconvéniens, je les pèse, je les compare aux avantages, et comme il faut subordonner les petites choses aux grandes, je remercie l’auteur du parti qu’il a pris. Eh bien ! oui, çà et là, sur des points de détail, quelques explications devront être éludées, quelques jugemens omis ; c’est un sacrifice nécessaire. Je dis plus, malgré tant d’art et tant de soins, tous les écueils ne seront pas évités, tout le monde ne sera pas content : on trouvera sur certains faits, sur certains personnages, ici trop de soleil, là au contraire un peu trop d’ombre, il y aura des blessures et des plaintes, et les blessures sont toujours regrettables ; mais vous aurez, vingt ans, trente ans plus tôt que par les routes ordinaires, fait cesser un déni de justice ; vous aurez, de la main d’un maître, l’histoire de cette époque que tant de passions et d’intérêts ligués s’obstinent à travestir. Faites en effet la part que vous voudrez à la présence des vivans et aux entraves qu’elle impose, cette histoire, elle est là, elle est dans ces mémoires, assez complète et assez libre, puisque rien d’important n’est omis, puisqu’avec un degré de plus de relief et de vie vous y trouvez tous les enseignemens de la véritable histoire. Et c’est d’un tel secours qu’il faudrait nous priver par respect pour les règles en matière de mémoires ? Ne doit-on pas comprendre que, sans inconséquence, j’applaudisse à cette infraction ?

Le service que j’attends de ce livre, c’est qu’il abrégera les années qui restent à courir pour que la monarchie de 1830 parvienne enfin dans l’ère paisible de la loyale discussion, ou, si l’on veut, passe du règne du pamphlet dans le domaine de l’histoire. Voyez la restauration, l’ère historique naît à peine pour elle, et déjà quel apaisement ! quelle façon nouvelle de la comprendre et de la juger ! Qui oserait aujourd’hui mettre encore à son compte les désastres de nos deux invasions ? Qui ne se plaît à reconnaître que l’intégrité de notre sol, aussi bien que nos premiers essais de liberté légale, de régularité financière, de prospérité publique, c’est à elle que nous les devons ? Est-il quelqu’un qui ne rende justice à ces heureux efforts d’une politique prévoyante, dont le dernier représentant, si merveilleusement respecté par l’âge, est aujourd’hui l’objet de tant d’hommages et de vénération ? En un mot, la restauration a franchi le seuil de l’histoire ; elle commence à ne porter le poids que de ses propres fautes, et reprend possession des actes qui l’honorent et du bien qu’elle a fait.

Nous n’en sommes pas là pour la seconde phase du régime constitutionnel