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un temple semblable à celui de Nagadi, et que l’on appelle Kinaboulé, la maison de l’esprit. On rencontre aussi le long des chemins des espèces d’autels faits de roseaux et d’étoffes du pays ; ils sont consacrés à la mémoire des morts et destinés à nourrir leurs esprits. On les couvre d’alimens dont les animaux et les passans s’emparent sans qu’on y trouve à redire. Les prêtres sont censés communiquer avec les génies par l’inspiration ; de là leur grande autorité sur l’esprit populaire dont les missionnaires savent se faire les héritiers parmi les tribus qui s’ouvrent au christianisme.

Parvenus par eau jusqu’auprès de Namusi, les voyageurs quittèrent leurs canots pour franchir les hauteurs.qui les séparaient encore de cette localité. Le paysage était de toute beauté : au fond de la vallée, dominée par de hautes montagnes, court un ruisseau bordé de plantations de taros, d’ignames, de bananiers ; l’oranger, l’arbre à pain, le coco, mêlent leurs feuillages ; le climat est tempéré, et il n’y a pas de doute que cette riante vallée ne devienne le centre des cottages quand les Anglais seront définitivement installés dans la grande île. C’est là que Danford s’est établi ; sa maison est une des plus considérables de Namusi ; ses plantations ont de l’étendue, ses serviteurs, peut-être ses esclaves, sont nombreux. L’aventurier, devenu grand personnage vitien, s’est entouré de tout ce qu’il a pu réunir de comfortable européen.

Les voyageurs se préparèrent après une courte halte à escalader la montagne Woma, qui se dressait devant eux. C’est un des points culminans de l’île, dont le sommet atteint entre quatre et cinq mille pieds anglais au-dessus du niveau de la mer. Les pentes sont raides et difficiles, et la chaleur ajoutait à la fatigue. Les guides usèrent d’une singulière façon de se rafraîchir : ils s’élancèrent au sommet des cocotiers pour s’y balancer dans l’espace. Les flancs de la montagne sont semés de rochers quelquefois perpendiculaires et couverts d’arbres. Ce n’est qu’à la hauteur de deux mille cinq cents pieds que commence la forêt vierge. La flore n’y est plus la même que dans les régions inférieures. Les arbres s’y trouvent chargés à une végétation parasite de mousses, de lichens, d’orchidées écarlates. D’innombrables variétés de fougères y prennent quelquefois des dimensions antédiluviennes. Une espèce de cannelier porte une écorce dont les indigènes parfument leur huile de noix de coco, et dont ils usent aussi comme de sudorifique.

À mesure qu’on s’élève, les animaux disparaissent, les oiseaux deviennent plus rares ; un vaste silence ajoute à la majesté du paysage. Quand on est parvenu au sommet, les deux tiers de l’archipel se déroulent sous les yeux comme une carte : Motoruki, Batuki, Benga, Kantavu et une foule de moindres îlots se détachent