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mburé[1] : c’est une sorte de maison hospitalière destinée à donner asile aux gens qui ont été appelés par une fête ou par quelque autre circonstance, et qui sont loin de chez eux. Ces maisons publiques rappellent les tambos de l’Amérique du Sud, et présentent une grande analogie avec celles que les Polynésiens ont instituées sous le nom de « maisons des étrangers. »

Les hôtes de Kuruduadua devaient passer la nuit en ce lieu ; mais, comme le mburé était très sale et se trouvait encombré de visiteurs, car la présence des papalangis (c’est le nom qu’on donne aux étrangers) attirait beaucoup d’indigènes, les Européens préférèrent s’étendre simplement sur leurs nattes. À peine y étaient-ils installés qu’une foule considérable se pressa autour d’eux, apportant des porcs, des ignames, des taros rôtis à la façon polynésienne, plus une grande quantité d’un pudding de bananes cuites dans du lait de noix de coco avec de la canne à sucre râpée. Cette masse de provisions fut offerte au chef, qui accepta par l’intermédiaire de son orateur, et qui les offrit à son tour aux étrangers. Ceux-ci durent alors les transmettre à la foule avec le même cérémonial, en gardant seulement leur part. Ce fut Danford, familiarisé avec les usages indigènes, qui se chargea de recevoir et d’offrir ces présens.

Vers le soir, on apporta le bol de kava. Déjà nous avons eu l’occasion, à propos des îles Marquises[2], de mentionner ce narcotique particulier aux archipels de la Mer du Sud et d’en décrire les effets. Aux Viti, la préparation diffère en ce que, pour manipuler la racine, on emploie souvent la râpe. Cependant les vrais amateurs préfèrent la racine mâchée, et trouvent ainsi à ce suc plus de saveur. Pris avec une extrême modération, le kava n’amènerait qu’une somnolence accompagnée de rêveries ; mais il est aussi difficile de s’arrêter sur la pente de cette ivresse que sur celle de toute autre, et les malheureux qui s’y abandonnent, non moins maltraités que les buveurs d’opium, sont, au bout de peu de temps, abrutis et couverts de hideuses maladies de peau. Beaucoup des aventuriers européens qui viennent chercher dans l’archipel des moyens d’existence se livrent à cette funeste passion.

Aux Viti, la distribution du kava, quand c’est un chef qui l’offre, comporte un certain cérémonial : celui-ci commence par goûter la préparation pour s’assurer qu’elle est bien faite ; ensuite un serviteur verse la liqueur dans un coco qu’il tient à la main, et debout, le bras tendu vers le chef, il attend ses ordres ; alors l’orateur du

  1. Les lettres M et N placées devant un grand nombre de noms, Mbau, Mburé, Mbi, Mbalangé, Ndengei, Ndaveta, Ndeké, Nga, etc., constituent un fait philologique particulier au dialecte vitien.
  2. Voyez la Revue du 1er septembre 1859.