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à ces îles interdit au maître de la maison de prendre place à côté de ses invités ; mais il préside à leur repas. Kuruduadua veillait à ce que rien ne manquât à ses hôtes ; de demi-heure en demi-heure, on servait le yagona. Une pièce d’artillerie de très petit calibre, qui était placée près de la porte d’entrée comme pour la protéger, fut tirée, et le tambour ne cessa de retentir en signe de réjouissance. Les lits pour la nuit consistaient en nattes superposées et en un para-mouches long de vingt pieds fait de papier d’écorce de mûrier. Au matin, en se levant, le consul offrit au chef des haches, des couteaux, des étoffes, et ces présens furent l’occasion de nouvelles protestations de foi et de bonne amitié.

Les étrangers furent conviés à une grande fête nationale qui devait avoir lieu dans les jours suivans : le fils aîné de Kuruduadua entrait dans l’âge de puberté, et il allait revêtir le maro. Une cérémonie accompagnée d’épisodes terribles signalait ordinairement cette fête. On égorgeait un grand nombre de coupables et de prisonniers mis en réserve pour cette circonstance ; cette fois même il avait été question de massacrer les cinq cents habitans d’une ville rebelle. Les cadavres devaient être ramassés en un vaste monceau sur lequel était jeté un esclave vivant. Le jeune initié, nu jusque-là, car les hommes seuls portent un lambeau de vêtement, se séparait de ses compagnons d’enfance, escaladait l’épouvantable échafaud de cadavres, et, les pieds sur la poitrine de l’esclave vivant, il agitait un glaive ou un casse-tête, pendant que les prêtres invoquaient sur lui la protection des génies, et les priaient de le faire sortir vainqueur de tous les combats. La foule avait coutume de mêler à ces imprécations d’horribles applaudissemens. Ensuite deux oncles du prince escaladaient à leur tour le monceau des victimes ; c’étaient eux qui avaient mission de le ceindre du maro, ceinture de tapa, étoffe du pays, blanche comme la neige, large seulement de six ou huit pouces, mais longue de 200 mètres, en sorte qu’il en était complètement enveloppé.

Telle était la cérémonie qui devait avoir lieu. Les cinq cents malheureux destinés à cette boucherie attendaient leur sort dans une profonde terreur, quand les étrangers s’avancèrent auprès du chef et lui demandèrent de vouloir bien les agréer pour remplir l’office des oncles. Kuruduadua témoigna quelque hésitation, et se retira pour consulter le peuple. Après quelques momens de délibération avec les chefs et la multitude, il revint, accordant ce qui lui avait été demandé. Alors le consul et son compagnon s’approchèrent du jeune homme entièrement nu, qui, au milieu de la foule des curieux, brandissait sa massue ; ils l’enveloppèrent de trente aunes de coton de Manchester, pendant que le peuple et les prêtres invoquaient