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été successivement tués, le reste se dispersa honteusement. La plupart des grands arbres portent suspendus à leurs branches les ossemens des cadavres qui ont été dévorés ; au bout d’un certain temps, il y croît des mousses et une petite espèce particulière de fougère. Quand une tribu parvient à faire une incursion heureuse sur le territoire d’une tribu ennemie, elle ressaisit ces hideux trophées et les emporte pour leur donner soigneusement la sépulture.

De Rewa, MM. Seeman et Pritchard se dirigèrent par un sentier, le long de la mer, vers un lieu appelé Nawua, qui est une des possessions et des résidences de Kuruduadua, chef de Namusi. Le consul avait su conquérir peu à peu une grande influence sur l’esprit de ce sauvage ; il lui fit demander l’autorisation de visiter, avec son hôte, le territoire de sa tribu, et celui-ci s’empressa d’accéder à ce désir. Ce chef, qui est un des plus puissans de l’île, et qui tenait à justifier sa réputation en cette circonstance, déploya toute la pompe de l’étiquette vitienne. Il attendait les étrangers dans sa principale demeure, entouré de sa cour, conseillers et serviteurs. Quand ils parurent, leur interprète, adressant la parole au chef, lui dit que le consul demandait à lui présenter un seigneur, qui désirait étudier son pays et devenir son hôte pour quelques jours. Après un moment de silence, le principal orateur de la compagnie prit la parole au nom de Kuruduadua, et dit que les étrangers étaient les bienvenus, que leur présence honorait la ville de Nawua, et que la tribu entière allait être avertie de leur arrivée par les roulemens du tambour. Quand il eut parlé, tous les hommes présens frappèrent dans leurs mains en criant : Mana, mana, mana ! et le tambour résonna. Les yeux du chef brillaient, et ses traits étaient animés d’un sourire qui ne manquait pas de fierté, pendant que les étrangers prenaient place sur les nattes qu’il faisait étaler devant eux.

On allait procéder à un repas de bienvenue, quand l’interprète, avisant une grande marmite de fer où plus d’un membre humain avait cuit, eut la fâcheuse idée de débiter en fidjien un speech sur l’infamie de cette nourriture. Les sauvages écoutèrent impassiblement cette exhortation ; mais le consul et son compagnon ne se sentirent plus en grand appétit lorsqu’on leur offrit un cochon rôti tout entier probablement dans un des vases qui avaient servi à cuire des victimes humaines. Des ignames et du taro accompagnaient le mets principal ; en même temps on servait le yagona. C’est une boisson faite des sucs de la racine mâchée du poivrier de la Mer du Sud, et qui ressemble assez à un mélange d’eau de savon, de jalap et de magnésie. Les corbeilles d’ignames et de taros étaient apportées par des jeunes filles conduites par la favorite du chef, et qui se traînaient par respect sur les mains et sur les genoux. Un usage particulier