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assez semblable à la fumée et très différent de la teinte cuivrée des Polynésiens. Tel est le type général ; toutefois beaucoup d’indigènes en diffèrent par la coupe de la figure, la couleur de la peau et l’élégance de leur personne : ce sont des métis issus des relations des habitans polynésiens de l’archipel de Tonga avec les femmes vitiennes ; car les vents, soufflant de l’est durant dix mois de l’année, poussent les migrations de l’est en ouest dans cette partie de l’Océanie.

Le chiffre de la population de l’archipel a été très diversement évalué : on l’a porté à 300,000, ce qui est à coup sûr exagéré. Les calculs les plus raisonnables, appuyés sur les observations des missionnaires, le fixent à 150,000, ce qui donne encore l’agglomération aujourd’hui la plus considérable d’indigènes océaniens.

Les îles se présentent aux navigateurs sous le plus riant aspect. Tous les visiteurs en ont vanté les beaux bois, les cimes verdoyantes, le climat, où l’excès de la chaleur est tempéré par l’élévation du sol et les brises de la mer. La nature leur a libéralement départi les richesses des tropiques. Autrefois elles étaient couvertes de bois de sandal qui eût pu devenir, par de sages exploitations, une source de revenus durables ; mais les jonques chinoises à la recherche de bois rare pour les cercueils des mandarins, les sandalers australiens et les autres déprédateurs de ces mers se sont jetés avec fureur sur ces précieuses forêts, et les ont tellement dévastées qu’elles sont épuisées pour bien longtemps, sinon ruinées à jamais. L’archipel compte encore parmi ses productions importantes l’huile de coco, l’écaille de tortue, le palmier sagou, les holothuries, ces vers si recherchés des Chinois et qui forment un objet de commerce assez actif. On appelle aussi ces vers dans l’archipel du nom français de biches de mer.

Par un singulier contraste, ces îles si bien douées de la nature ont servi de demeure aux sauvages les plus redoutables et les plus farouches de toute l’Océanie. Pendant deux siècles, les Fidjiens ont été renommés pour leurs sanglantes luttes et leurs inimitiés envers les étrangers. Il était d’usage, chez eux, d’après des superstitions religieuses, de considérer comme une victime offerte par les génies, de tuer et de dévorer quiconque, étranger ou indigène, était jeté par la tempête sur les récifs de l’archipel. Cette coutume était tout récemment encore pratiquée, et il s’en est produit, il n’y a pas plus de douze ans, un exemple cité par le capitaine Erskine, qui explorait l’Océanie en 1849 sur le bâtiment le Havannah. Un bateau appartenant à une localité voisine de la capitale Mbau, et qui lui payait un tribut de poisson, était sorti avec quatorze hommes pour pêcher de quoi acquitter sa redevance. Il fut jeté par un coup