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Puis se retournant vers les communes ;


« Un parlement ainsi lié et contrôlé, sans cœur et sans liberté, au lieu de limiter la prérogative de la couronne, l’étend, l’établit et la consolide au-delà de tout précédent, de toute condition et de toute limite ; mais quand la chambre des communes anglaises serait si ignominieusement morte à la conscience du poids dont elle doit peser dans la constitution, quand elle aurait si entièrement oublié ses anciennes luttes et ses anciens triomphes dans la grande cause de la liberté et de l’humanité, quand elle serait si indifférente à l’objet et à l’intérêt premier de son institution originelle, j’ai la confiance que le courage caractéristique de cette nation serait encore au niveau de cette épreuve ; j’ai la confiance que ce peuple anglais serait aussi jaloux des influences secrètes qu’il est supérieur aux violences ouvertes ; j’ai la confiance qu’il n’est pas plus disposé à défendre son intérêt contre la déprédation et l’insulte étrangère qu’à rencontrer face à face et jeter par terre cette conspiration nocturne contre la constitution. »


Voilà les explosions d’un naturel par excellence doux et aimable ; jugez des autres. Une sorte d’exagération passionnée règne dans les débats que soulèvent le procès de Warren Hastings et la révolution française, dans la rhétorique acrimonieuse et dans la déclamation outrée de Sheridan, dans le sarcasme impitoyable et dans la pompe sentencieuse du second Pitt. Ils aiment la vulgarité brutale des couleurs voyantes ; ils recherchent les grands mots accumulés, les oppositions symétriquement prolongées, les périodes énormes et retentissantes. Ils ne craignent point de rebuter, et ils ont besoin de faire effet. La force, c’est là leur trait, et celui du plus grand d’entre eux, le premier esprit de ce temps, Edmund Burke. « Prenez Burke à partie, disait Johnson, sur tel sujet qu’il vous plaira ; il est toujours prêt à vous tenir tête. » Il n’était point entré au parlement comme Fox et les deux Pitt dès l’aurore de la jeunesse, mais à trente-cinq ans, ayant eu le temps de s’instruire à fond de toutes choses, savant dans le droit, l’histoire, la philosophie, les lettres, maître d’une érudition si universelle qu’on l’a comparé à lord Bacon. Mais ce qui le distinguait entre tous les autres, c’était une large intelligence compréhensive qui, exercée par des études et des compositions philosophiques[1], saisissait les ensembles, et par-delà les textes, les constitutions et les chiffres, apercevait la direction invisible des événemens et l’esprit intime des choses, en couvrant de son dédain « ces prétendus hommes d’état, troupeau profane de manœuvres vulgaires, qui nient l’existence de tout ce qui n’est point grossier et matériel, et qui, bien loin d’être capables de diriger le grand mouvement d’un empire, ne sont pas dignes de tourner une

  1. Recherches sur l’origine de nos idées du beau et du sublime.