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à la nation sa rapacité et sa fougue, et n’apercevait de repos que dans les perspectives lointaines de la gloire éblouissante et de la puissance illimitée, une imagination qui transportait dans le parlement la véhémence de la déclamation théâtrale, les éclats de l’inspiration saccadée, la témérité des images poétiques, voilà les sources de son éloquence.


« Hier encore l’Angleterre eût pu se tenir debout contre le monde ; aujourd’hui « personne si pauvre qui lui rende hommage !… » Mylords, vous ne pouvez pas conquérir l’Amérique. Nous serons forcés à la fin de nous rétracter ; rétractons-nous pendant que nous le pouvons encore, avant que nous y soyons forcés. Je dis que nous devons nécessairement abroger ces violens actes oppressifs ; ils doivent être rappelés, vous les rappellerez, je m’y engage d’honneur ; vous finirez par les rappeler, j’y joue ma réputation ; je consentirai à être pris pour un idiot, si à la fin ils ne sont pas rappelés !… Vous avez beau enfler toute dépense et tout effort, accumuler et empiler tous les secours que vous pourrez acheter du emprunter, trafiquer et brocanter avec chaque petit misérable prince allemand qui vend et expédie ses sujets aux boucheries des princes étrangers : vos efforts sont pour toujours vains et impuissans, doublement impuissans par l’aide mercenaire qui vous sert d’appui, car elle irrite jusqu’à un ressentiment incurable l’âme de vos ennemis. Quoi ! lancer sur eux les fils mercenaires de la rapine et du pillage ! les dévouer, eux et leurs possessions, à la rapacité d’une cruauté soldée ! Si j’étais Américain comme je suis Anglais, tant qu’un bataillon étranger aurait le pied sur mon pays, je ne poserais pas mes armes ! Jamais, jamais, jamais ! Mais, mylords, quel est l’homme qui, pour combler ces hontes et ces méfaits de notre armée, a osé autoriser et associer à nos armes le tomahawk et le couteau à scalper du sauvage ? Appeler dans une alliance civilisée le sauvage féroce et inhumain des forêts, — lancer contre nos établissemens, parmi nos parentés, nos anciennes amitiés, le cannibale impitoyable qui a soif du sang des hommes, des femmes et des enfans, — désoler leur pays, vider leurs demeures, extirper leur race et leur nom par ces horribles chiens d’enfer de la guerre sauvage ! mylords, ces énormités crient et appellent tout haut réparation et punition ! Si on ne les leur donne tout entières, il y aura une tache sur notre réputation nationale. C’est une violation de la constitution : je crois que cela est contre la loi. »


Il y a un écho de Milton et de Shakspeare dans cette pompe tragique, dans cette solennité passionnée, dans l’éclat sombre et violent de ce style surchargé et trop fort. C’est de cette pourpre superbe et sanglante que se parent les passions anglaises ; c’est sous les plis de ce drapeau qu’elles se rangent en bataille, d’autant plus puissantes qu’au milieu d’elles il y en a une toute sainte, le sentiment du droit, qui les rallie, les emploie et les ennoblit.


« Je me réjouis que l’Amérique ait résisté ; trois millions d’hommes assez morts à tous les sentimens de liberté pour souffrir volontairement qu’on les