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Ces sermons n’ont point l’art et l’artifice, la correction, la mesure des sermons français ; ils ne sont pas comme eux des monumens de style, de composition, d’agrément, de science dissimulée, d’imagination tempérée, de logique déguisée, de goût continu, de proportion exquise, égaux aux harangues du forum romain ou de l’agora athénienne. Ils ne sont point classiques. C’est qu’ils sont pratiques. Il fallait cette grosse pioche du travail, rudement maniée et tout encrassée de rouille pédantesque, pour creuser dans cette civilisation grossière. L’élégant jardinage français n’y eût rien fait. Si Barrow est redondant, Tillotson pesant, South trivial, le reste illisible, ils sont tous convaincans ; leurs discours ne sont point des modèles d’éloquence, mais des instrumens d’édification. Leur gloire n’est point dans leurs livres, mais dans leurs œuvres. Ils ont fait des mœurs et non des écrits.

Ce n’est pas tout de former les mœurs, il faut défendre les croyances. Avec le vice il faut combattre le doute, et la théologie accompagne le sermon. Elle pullule à ce moment en Angleterre. Anglicans, presbytériens, indépendans, quakers, baptistes, antitrinitariens, se réfutent « avec autant de cordialité qu’un janséniste damne un jésuite, » et ne se lassent pas de fabriquer des armes de combat. Qu’y a-t-il à prendre ou à garder dans tout cet arsenal ? En France du moins, la théologie est belle ; les plus fines fleurs de l’esprit et du génie s’y sont épanouies sur les ronces de la scolastique ; si le sujet rebute, la parure attire. Pascal et Bossuet, Fénelon et La Bruyère, Voltaire, Diderot et Montesquieu, amis et ennemis, tous y ont prodigué toutes leurs perles et tout leur or. Sur la trame usée des doctrines arides, le XVIIe siècle a brodé une majestueuse étole de pourpre et de soie, et le XVIIIe siècle, qui la chiffonne et la déchire, la disperse en milliers de fils d’or qui chatoient comme une robe de bal. Ici tout est lourd, plat et triste ; les grands hommes eux-mêmes, Addison et Locke, lorsqu’ils se mêlent de défendre le christianisme, deviennent plats et ennuyeux. Depuis Chillingworth jusqu’à Paley, les apologies, réfutations, expositions, discussions, pullulent et font bâiller ; ils raisonnent bien, et c’est tout. Le théologien entre en campagne contre les papistes au XVIIe siècle, contre les déistes au XVIIIe, en tacticien, selon les règles, prend position sur un principe, établit tout à l’entour une maçonnerie d’argumens, recouvre le tout de textes, et chemine paisiblement sous terré dans les longs boyaux qu’il a creusés ; on approche, et l’on voit sortir une sorte de pionnier pâle, le front contracté, les mains raidies, les habits sales ; il est satisfait, il se croit à l’abri de toute attaque ; ses yeux fichés en terre n’ont pas vu à côté de son bastion le large chemin commode par lequel l’ennemi va le tourner et le surprendre. Une sorte de médiocrité