Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/541

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lisaient la Bible, priaient et allaient exhorter les autres. Wesley les assemblait en sociétés, instituait des réunions d’examen et d’édification mutuelle, soumettait la vie spirituelle à une discipline méthodique, bâtissait des temples, choisissait des prédicateurs, fondait des écoles, organisait l’enthousiasme. Aujourd’hui encore ses disciples dépensent trois millions par an en missions dans toutes les parties du monde, et, sur les bords du Mississipi et de l’Ohio, les shoutings répètent le délire et les conversions de l’inspiration primitive. Le même instinct se révèle encore par les mêmes signes ; la doctrine de la grâce subsiste toujours vivante, et la race, comme au XVIe siècle, met sa poésie dans l’exaltation du sens moral.


IV

Une sorte de fumée théologique couvre et cache ce foyer ardent qui brûle en silence. Un étranger qui en ce moment visiterait le pays ne verrait dans cette religion qu’une vapeur suffocante de raisonnemens, de controverses et de sermons. Tous ces docteurs et prédicateurs célèbres, Barrow, Tillotson, South, Stillingfleet, Sherlock, Richard Bentley, Burnet, Baxter, Barclay, prêchent, dit Addison, comme des automates, du même ton, sans remuer les bras. Pour un Français, pour Voltaire, qui les lit, car il lit tout, quelle étrange lecture ! Voici d’abord Tillotson, le plus autorisé de tous, sorte de père de l’église, tellement admiré que Dryden déclare avoir appris de lui l’art de bien écrire, et que ses sermons, seule propriété qu’il laisse à sa veuve, sont achetés par un libraire 2,500 livres sterling. En effet l’ouvrage est de poids ; il y en a trois volumes in-folio, chacun de sept cents pages. Pour les ouvrir, il faut être critique de profession ou vouloir absolument faire son salut. Enfin nous les ouvrons. Qu’il y a de la sagesse à être religieux : c’est là son premier sermon, fort célèbre de son temps et qui commença sa fortune. « Cette phrase, dit-il, comprend deux termes qui ne sont point différens de sens, tellement qu’ils ne diffèrent que comme la cause et l’effet, lesquels, par une métonymie employée par tous les genres d’auteurs, sont souvent mis l’un pour l’autre. » Ce début inquiète ; est-ce que par hasard ce grand écrivain serait un grammairien d’école ? Poursuivons pourtant : « Ayant ainsi expliqué les mots, j’arrive maintenant à la proposition qu’ils forment, à savoir que la religion est le meilleur des savoirs et la meilleure des sagesses. Et je m’efforcerai d’établir cette vérité de trois façons : premièrement par une preuve directe, secondement en montrant par contraste la folie et l’ignorance, de l’irréligion et du vice, troisièmement en défendant la religion contre les accusations ordinaires qui semblent la taxer d’ignorance ou de déraison.