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fit cette réponse : — Sir Robert, vous avez dernièrement rendu service à quelques-uns de mes amis intimes, et la dernière fois que ma femme est venue à la cour, le roi l’a reçue très gracieusement, ce qui certainement est arrivé par votre influence. Je me considérerais donc comme très ingrat (et il mit le billet de banque dans sa poche) si je vous refusais la faveur que vous voulez bien me demander aujourd’hui. » Voilà de quel air un homme de goût faisait ses affaires. La corruption était si bien dans les mœurs publiques et dans l’état politique qu’après la chute de Walpole, lord Bute, qui l’avait dénoncée, fut obligé de la pratiquer et de l’accroître. Son collègue Fox changea les bureaux du trésor (pay-office) en marché, débattit son prix avec des centaines de membres, déboursa en une matinée 25,000 liv. sterling. On ne pouvait avoir de votes qu’argent comptant, et encore aux momens importans ces mercenaires menaçaient de passer à l’ennemi, se mettaient en grève, et demandaient davantage. Et croyez que les chefs se faisaient leur part. Ils se vendent ou se paient en titres, en dignités, en sinécures ; pour obtenir la vacance d’une place, on donne au titulaire une pension de deux, trois, cinq, et jusqu’à sept mille livres sterling. Pitt, le plus intègre de ces hommes politiques, le chef de ceux qui s’appelaient patriotes, donne et retire sa parole, attaque ou défend Walpole, propose la guerre ou la paix, le tout pour devenir ou rester ministre. Fox, son rival, est une sorte de pourri éhonté. Le duc de Newcastle, « dont le nom était perfidie, » espèce de caricature vivante, le plus maladroit, le plus ignorant, le plus moqué, le plus méprisé des nobles, reste ministre trente ans et dix ans premier ministre à cause de sa parenté, de sa fortune, des élections dont il dispose et des places qu’il peut donner. La chute des Stuarts a mis le gouvernement aux mains de quelques grandes familles qui, au moyen de bourgs pourris, de députés achetés et de discours sonores, oppriment le roi, manient les passions populaires, intriguent, mentent, se chamaillent et tâchent de s’escroquer le pouvoir.

Les mœurs privées sont aussi belles que les mœurs publiques. D’ordinaire le roi régnant déteste son fils ; ce fils fait des dettes, demande au parlement d’augmenter sa pension, et se ligue avec les ennemis de son père. George Ier tient sa femme en prison pendant trente-deux ans, et s’enivre le soir chez deux laiderons, ses maîtresses. George II, qui aime sa femme, prend des maîtresses pour avoir l’air galant, se réjouit de la mort de son fils, escroque le testament de son père. Son fils aîné[1] triche aux cartes, et un jour, à Kensington, ayant emprunté 5,000 livres sterling à Dodington, dit en le voyant sous la fenêtre : « Cet homme passe pour une des meilleures

  1. Frédéric, mort en 1751. Mémoires de Walpole, t. Ier, p. 76.