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des maisons croulantes finissait par les brûler ou les engloutir. Onze ans plus tard, à Birmingham, ils saccagèrent et détruisirent les maisons des libéraux et des dissidens, et le lendemain on les trouva par tas ivres-morts le long des chemins et dans les haies. L’instinct s’émeut dangereusement dans cette race trop forte et trop nourrie. Le taureau populaire se lançait comme une masse sur le premier chiffon rouge qu’il croyait voir.

La haute société valait un peu moins que la basse. S’il n’y eut point de révolution plus bienfaisante que celle de 1688, il n’y en eut point qui fût lancée ou soutenue par de plus sales ressorts. La trahison est partout, non pas simple, mais doublé et triple. Sous Guillaume et sous Anne, amiraux, ministres, gentilshommes du conseil, favoris de l’antichambre, tous correspondent et conspirent avec les Stuarts, qu’ils ont déjà vendus, sauf à les vendre encore, par une complication de marchés qui vont se détruisant l’un l’autre et par une complication de parjures qui vont se dépassant l’un l’autre jusqu’à ce que personne ne sache plus à qui il appartient ni qui il est. Le plus grand capitaine du temps, le duc de Marlborough, est un des plus bas coquins de l’histoire, entretenu par ses maîtresses, économe administrateur de la paie qu’il en reçoit, occupé à voler ses soldats, trafiquant des secrets d’état, traître envers Jacques, envers Guillaume, envers l’Angleterre, capable de risquer sa vie pour épargner une paire de bottes mouillées, et de faire tomber dans une embuscade française une expédition de soldats anglais. Après lui vient Bolingbroke, sceptique et cynique, tour à tour ministre de la reine et du prétendant, aussi déloyal envers l’un qu’envers l’autre, marchand de consciences, de mariages et de promesses, ayant gaspillé du génie dans les débauches et les tripotages pour arriver à la disgrâce, à l’impuissance et au mépris[1]. Vient enfin Walpole, chassé de la chambre comme concussionnaire, premier. ministre pendant vingt ans, et qui se vantait de savoir le tarif de chaque conscience. « Il y a des membres écossais, disait Montesquieu en 1729[2], qui n’ont que 200 livres sterling, et se vendent à ce prix. Les Anglais ne sont plus dignes de leur liberté. Ils la vendent au roi, et si le roi la leur redonnait, ils la lui vendraient encore. » Il faut voir dans le journal de Dodington, espèce de Figaro malhonnête, la façon ingénieuse et les jolies tournures de ce grand commerce. « Un jour de vote difficile, dit le docteur King, Walpole, passant dans la cour des requêtes, aperçut un membre du parti contraire ; il le tira à part et lui dit : — Donnez-moi votre voix, voici un billet de banque de deux mille livres sterling. — Le membre lui

  1. Voyez le terrible discours de Walpole contre lui, 1734.
  2. Notes sur son voyage en Angleterre.