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musique, tantôt en laissant dominer l’accent de la langue et le rhythme poétique, et. tantôt en faisant dominer la musique à son tour, et prodiguant toutes les richesses de la mélodie, de l’harmonie et du rhythme musical pour frapper l’oreille et toucher le cœur par des charmes auxquels il ne puisse résister. Voilà les raisons de la division d’un opéra en récitatif simple, récitatif obligé et airs. » Ajoutons duos, trios, quatuors, vastes morceaux d’ensemble que Rousseau et Gluck ne connaissaient pas, et qui sont la richesse de l’art et de l’opéra modernes. L’abbé Arnaud fut le défenseur enthousiaste de l’œuvre et du génie de Gluck, dont il admirait tout, jusqu’à la vieille perruque du maître. L’abbé Arnaud revit de nos jours dans la personne de M. Berlioz, avec quelques connaissances musicales de plus et moins de grec. Seulement le savant abbé était bien convaincu que la musique d’Alceste était de Gluck, tandis qu’il n’est pas impossible que M. Berlioz ne s’imagine avoir inventé cette belle œuvre, dont il a dirigé les répétitions, à ce qu’on assure, et analysé trop longuement la partition.

En France, le rôle d’Alceste fut créé dans l’origine par Mlle Rosalie Levasseur, qui semble avoir eu une très belle voix de soprano, et dont l’abbé Arnaud fait le plus grand éloge comme actrice et comme cantatrice. Cette artiste, dont le nom ne se trouve même pas dans la Biographie universelle de M. Fétis, était de Valenciennes, et elle avait été recommandée à Gluck par le comte Mercy-Argenteau, ambassadeur d’Autriche, dont elle était la maîtresse. À la reprise d’Alceste, en 1779, ce fut encore Mlle Levasseur qui remplit ce grand rôle, puis vint Mme Saint-Huberti en 1786, grande et admirable tragédienne. Mlle Maillard, d’une beauté imposante, chanta ce rôle important en 1797, et Mme Branchu fut la dernière cantatrice de l’ancienne école qui l’interpréta jusqu’en 1825, où l’œuvre de Gluck cessa de faire partie du répertoire de l’Opéra.

C’est à Mme Viardot qu’on doit la reprise d’Alceste après trente-six ans d’abandon. L’hiver dernier, Mme Viardot avait chanté à deux concerts du Conservatoire plusieurs morceaux de ce chef-d’œuvre avec un succès éclatant que nous nous sommes empressé de constater. Ce succès mérité de la grande artiste a donné l’idée à l’administration de l’Opéra de tenter l’épreuve difficile qui vient de réussir complètement. Mme Viardot est une artiste d’un ordre élevé, qui a ses imperfections sans doute, mais qui porte dans ses veines le sang héroïque d’une race prédestinée de virtuoses. Douée d’une vive intelligence, excitée par la noble ambition de soutenir le nom qu’elle porte, Mlle Pauline Garcia a débuté jeune au Théâtre-Italien de Paris. Sa réputation s’est faite lentement à cause de la renommée de Mme Malibran, sa sœur, après bien des luttes et bien des combats qu’elle a livrés sur les divers théâtres de l’Europe. Elle y a chanté tout le répertoire de la musique moderne sans négliger Handel, Gluck, Pergolèse et les autres grands maîtres du XVIIIe siècle. Mme Viardot a créé le rôle de Fidès dans le Prophète de Meyerbeer avec un succès véritable que nous avons reconnu dans le