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religieuse, du plus beau caractère, sert d’introduction à tout ce monde, qui s’avance pieusement et va se grouper autour de la statue du dieu qu’on vient invoquer. Cette marche est un chef-d’œuvre de grâce et de majesté, et Mozart s’en est heureusement inspiré dans la marche de son opéra d’Idoménée. L’abbé Arnaud a dit judicieusement de cette symphonie, vraiment antique : « C’était sans doute par un air de cette espèce que Pythagore, au rapport de Quintilien, rendit la tranquillité et le bon sens à des jeunes gens furieux. » Le récitatif du grand-prêtre, — Dieu puissant, écarte du trône, — est digne de la situation, du personnage qui s’exprime, et du dieu qu’il invoque, Il Le récitatif du grand-prêtre, a dit Rousseau, est un bel exemple de l’effet du récitatif obligé. On ne peut mieux annoncer l’oracle et la majesté de celui qui va le rendre. » Je ferai cependant une remarque : le dessin mélodique sur lequel le grand-prêtre chante les paroles suivantes, que répète le chœur :

Perce d’un rayon éclatant
Le voile affreux qui t’environne !


manquerait de noblesse, s’il n’était relevé par la vigueur du rhythme, par l’accompagnement et les masses chorales. Ce morceau, d’une couleur un peu sauvage, mais d’une grande vérité dramatique, produit tout son effet, et le public le fait recommencer, ce qui est une inconséquence, un léger démenti qu’il donne au système du maître. Le récitatif obligé du grand-prêtre, qui suit immédiatement le tourbillon fiévreux que je viens de décrire, est aussi admirable et plus étonnant peut-être que la scène qui précède, car il était difficile de se maintenir à la hauteur de l’émotion déjà produite. Le grand-prêtre, les yeux fixés sur la statue du dieu qu’il invoque, se sent peu à peu pénétré d’une fièvre divine dont il exprime les extases par des interjections formidables qui éclatent comme la foudre et qui s’éteignent ensuite dans un silence religieux. Il n’y a rien d’aussi sublime dans la musique dramatique d’aucun temps et d’aucun peuple. On ne peut comparer cette invocation merveilleuse qu’à la prophétie du grand-prêtre Joad dans Athalie :

Temple, renverse-toi ! cèdres, jetez des flammes !


C’est aussi grand, et le seul reproche qu’on pourrait adresser à cette scène de Gluck, c’est de dépasser peut-être l’horizon de la poésie et de la religion des Grecs, pour s’élever jusqu’à la sublimité de la Bible. Du moins c’est l’impression que j’en ai reçue. « Où suis-je ? s’écrie l’abbé Arnaud en parlant de cette scène. Quel transport me saisit ? Le grand-prêtre est tout à coup inspiré. N’était-il pas inspiré aussi, le musicien qui a trouvé dans son art assez de force pour rendre cette fureur divine du grand-prêtre, cette sainte horreur, cet effroi respectueux qu’éprouve le peuple ? » L’abbé Arnaud a raison.

L’oracle se prononce, et il déclare que le roi doit mourir, si quelque autre ne s’offre à mourir pour lui. La mélopée de la statue est accompagnée