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J’ai cru que la plus grande partie de mon travail devait se réduire à chercher une belle simplicité, et j’ai évité de faire parade de difficultés aux dépens de la clarté : je n’ai attaché aucun prix à la découverte d’une nouveauté, à moins qu’elle ne fût naturellement donnée par la situation et liée à l’expression ; enfin il n’y a aucune règle que je n’aie cru devoir sacrifier en faveur de l’effet. Voilà mes principes… Le succès a justifié mes idées, et l’approbation universelle dans une ville aussi éclairée m’a démontré que la simplicité et la vérité sont les grands principes du beau dans toutes les productions des arts. »

Ce sont là de nobles paroles, dignes de l’homme de génie qui les a dictées, et applicables, comme le dit Gluck, à tous les arts ; mais elles ne contiennent qu’une vérité reconnue depuis longtemps par tous les grands musiciens, par tous les artistes supérieurs. Le Poussin eût signé des deux mains la doctrine de Gluck, et il n’y avait en Italie aucun compositeur sérieux qui pensât autrement. À qui ferait-on croire que des musiciens comme Scarlatti, comme Léo, Pergolèse, Traetta, Jomelli, qui ont laissé des motets, des airs et des duos d’un pathétique et d’un sentiment admirables, ne fussent pas d’avis que la musique doit exprimer le sens des paroles et se soumettre à la vérité des situations ? Si Palestrina eût composé pour le théâtre, qui n’existait pas de son temps, eût-il procédé autrement que dans ses messes, dans les motets, dans ces improperii de la Passion, où il s’est inspiré si profondément de la parole sacrée ? Les vices de l’opera seria étaient si bien reconnus en Italie que le grand Marcello de Venise les a attaqués dans un opuscule charmant, il teatro alla moda, publié trente ans avant l’avènement de Gluck. Métastase, Planelli, Ximeneo, l’abbé Conti, l’abbé Mattei, le père Martini de Bologne, Beccaria, tous les écrivains, tous les critiques, tous les esprits distingués étaient du même avis sur les extravagances des chanteurs, sur les invraisemblances choquantes des libretti, qui avaient transformé l’opera seria italien en un véritable concert. Que voulaient donc ces beaux esprits et ces musiciens ingénieux de la renaissance, tels que Caccini, Pori, Emilio del Cavaliere, Vincent Galilée, père du grand astronome, Corsi, Rinuccini et tant d’autres qui se réunissaient en une sorte d’académie à Florence dans la maison de Bardi, comte de Vernio ? Ils cherchaient à restaurer, à imiter, à reproduire cette belle alliance de la poésie et de la musique dont ils avaient lu des merveilles dans les livres des rhéteurs et des philosophes. En rompant avec les formes scolastiques du contre-point fugué, avec les types impersonnels de l’art ecclésiastique, ces libres penseurs poussèrent la poésie et la musique vers la nature et en firent l’expression des sentimens humains. Ils créèrent l’opéra, comme Christophe Colomb a découvert l’Amérique sans s’en douter, en cherchant la prolongation des Indes. Monteverde, qui fut un grand novateur, a dit à la fin du XVIe siècle exactement ce que Gluck a dit cent cinquante ans plus tard : Je me moque des règles des savans et ne m’occupe qu’à trouver des effets. Si je ne craignais d’abuser des citations, je dirais qu’un compatriote de Gluck,