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que doit avoir pour le commerce en général de l’Europe la mise en activité de cette grande voie de communication perfectionnée, qui de l’Océan à la Mer-Noire, tracée pour ainsi dire sur le même parallèle, complétera dans le bassin de la Méditerranée, entre l’Occident et l’Orient, l’œuvre de fusion commencée il y a quelques années par la navigation à vapeur.

En discutant plus haut la possibilité d’augmentation du quantum annuel disponible, nous avons énoncé un fait que le moment est venu de justifier. Nous avons dit qu’une partie au moins du courant qui se porte aujourd’hui de la Hongrie vers le nord-ouest changera de direction et prendra la route de l’Adriatique. Les blés du Banat en effet auront désormais moins de frais à supporter pour arriver à Trieste que pour aller en Bohême, et si nos prévisions en ce qui concerne les rapports futurs de la Hongrie avec le midi de la France et l’Angleterre se réalisent, les prix du marché de Trieste seront égaux en moyenne, sinon supérieurs, aux prix ordinaires de la Bohême. Ces derniers devront donc s’élever, et alors la propriété agricole de cette province, qui souffre de la concurrence des blés hongrois, aura plus d’intérêt et de facilité à développer sa production. Les blés de la Galicie, où les excédans annuels sont aussi en progrès, pourront d’ailleurs, si besoin était, remplacer les blés hongrois dans le nord-ouest de l’empire.

Les relations de la Hongrie avec ses nouveaux cliens s’établiront d’après des erremens tout autres que ceux en usage dans le commerce des blés russes. Vienne est à trente-six heures de Paris, quarante-huit heures de Londres, et tous les marchés dont nous avons cité les noms sont à douze ou quinze heures de Vienne par chemins de fer ou bateaux à vapeur. L’acheteur, quel qu’il soit, aime beaucoup à voir ce qu’il achète, et ce qui était presque impossible avec, Odessa en raison de la distance sera très facile avec la Hongrie. Des rapports personnels s’établiront sans doute entre les maisons anglaises ou françaises d’un côté, les négocians de l’intérieur et même les grands propriétaires de l’autre. Il en sera pour les céréales comme il en a été pour les laines : il y a dix ans, la fabrique française achetait les laines de Hongrie de seconde ou de troisième main à Leipzig ou à Francfort ; aujourd’hui les agens français vont faire directement leurs achats auprès des propriétaires. De pareils rapports ne peuvent qu’avoir pour effet un développement plus rapide des transactions. Enfin il ne faut point oublier que les ports de la Mer-Noire sont fermés tous les hivers, tandis que l’Adriatique est toujours libre, et que le voyage de Trieste en Angleterre ne peut avoir pour les blés les inconvéniens que le voyage beaucoup plus long d’Odessa présente trop souvent.

La tache que nous nous étions donnée est accomplie. Nous avons montré que l’excédant de céréales disponible en Hongrie, déjà considérable aujourd’hui, peut rapidement s’accroître dans de très larges proportions, que les conditions de la production agricole dans ces fertiles provinces leur permettront de livrer leurs blés à des prix qui en rendent possible l’exportation