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l’idée de la beauté hébraïque ou italienne, pourront facilement servir, quelques souvenirs de l’art antique aidant, à donner l’idée de la beauté grecque. C’est pourquoi on ne s’aperçoit nullement que les personnages de l’Homère et de l’Hésiode de Flaxman portent des visages anglais ; mais dans les illustrations de Dante on reconnaît immédiatement leur nationalité. Le caractère italien du poème lui a complètement échappé, ou plutôt il n’a pas su assouplir son génie aux conditions de l’œuvre. Je prends deux exemples au hasard. La course de ses centaures allant à la rencontre de Dante, et de Virgile pour les percer de leurs flèches est tout simplement une course en rase campagne de jeunes paysans anglais qui, par un accident inexpliqué, participent de la nature du cheval. Plus frappante encore est la rencontre de Dante et de Farinata. Cet épisode a fourni à M. Doré un de ses meilleurs dessins. Il a très bien vu à quel moment il devait prendre cet épisode pour lui donner son vrai caractère : c’est le moment où Farinata se dresse dans sa tombe, regarde fièrement comme s’il eût eu l’enfer en grand mépris, et demande à Dante avec dédain quels furent ses ancêtres. Son Farinata est un damné d’attitude vraiment patricienne, d’âge moyen, maigre, le visage creusé par les soucis de l’ambition, de l’orgueil, et les ravages des passions politiques. Ainsi peut-on se figurer un Bettino Ricasoli du temps passé. Qu’a fait Flaxman au contraire ? Fidèle malgré lui au génie de sa nation, il a fait de cet épisode une scène de drame anglais. Son Farinata, qui sort de sa tombe comme un fantôme de théâtre d’une trappe, est un jeune adolescent anglais qui pourrait figurer, dans le Macbeth de Shakspeare, le fantôme de Fleance, fils de Banquo. L’artiste a choisi non pas le moment où Dante a exprimé le tranquille dédain aristocratique qui fut le caractère de ce personnage, mais le moment où il lance avant l’adieu ses obscures prophéties sur l’avenir de Florence. Il a compliqué encore cette scène de ce personnage de Cavalcante, dont la voix interrompt douloureusement la conversation de Dante et de Farinata pour demander des nouvelles de son cher Guido. D’une tombe voisine de celle de Farinata sort une tête enveloppée d’un suaire, grimaçante et sinistre, qui représente mal le damné au tendre cœur dont Dante nous fait entendre la voix. Le tout ressemble non à une scène de Dante, mais à une scène mélodramatique, très frappante d’ailleurs, de Lewis ou de Maturin.

Je ne veux pas dire, — notez-le bien, — que Flaxman soit un artiste inférieur à M. Gustave Doré ; je dis seulement que son imagination ne possède pas la souplesse de l’intelligente imagination du jeune artiste français, et que par conséquent il a beaucoup moins