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Ces vues sur l’origine des arts ont de la vérité et de la grandeur ; il faut ajouter même qu’elles sont rendues avec une majesté et un éclat de style qui rappellent le Lamennais des meilleurs jours ; mais, aujourd’hui que l’architecture est constituée comme un art jusqu’à un certain point distinct, on a toujours le droit de demander aux partisans de la théorie de l’expression quel est le mode particulier d’expression qui est le propre de l’architecture, et quand ils répondent avec Lamennais que l’architecte, par l’assemblage des matériaux qui sont dans ses mains, par le choix de ses soubassemens et de ses coupoles, de ses ogives et de ses pleins cintres, de ses flèches et de ses colonnades, veut représenter à sa façon ce qu’il y a dans les masses inorganiques de puissant, de solide, de gigantesque, d’élancé, de gracieux, il est clair que cette réponse est vraie à quelques égards, mais insuffisante. C’est ici que l’analyse pénétrante de M. Charles Lévêque vient au secours de la théorie. Il montre avec beaucoup d’esprit que tout édifice a un hôte, sacré ou profane, homme ou dieu, et que la fin essentielle de cet édifice, considéré comme œuvre d’art, c’est d’exprimer l’âme de son hôte. Tant que l’architecte ne songe qu’à la convenance, à l’utilité, à l’usage, il n’est pas libre, mais esclave ; il n’est pas artiste, mais artisan. Il fait en grand ce que fait en petit le plus humble maçon. Il n’est artiste que lorsque, songeant qu’il construit une demeure, il cherche à imprimer dans toute l’économie de son œuvre et jusque dans ses derniers détails le caractère de l’âme divine ou humaine qui doit l’habiter. « Un beau temple, dit l’auteur, nous apprend, sans inscriptions et sans emblèmes, qu’il est la demeure d’un dieu ; un beau palais, qu’il est celle d’une âme puissante et royale ; un beau château ou un bel hôtel, qu’il est la résidence d’âmes fières de leur race ; une charmante et simple villa, qu’elle est l’asile d’âmes heureuses dans leur médiocrité ; un théâtre, qu’il attend et recevra sur ses gradins vastes et nombreux une multitude d’âmes avides de spectacles. Un cloître nous entretient d’âmes désenchantées, solitaires, recueillies dans la prière et dans l’étude ; un tombeau bas, étroit, sans ouverture, sans air, sans lumière, proclame par son silence et son immobilité que le corps est là, mais que l’âme est partie. »

À l’architecture M. Lévêque rattache un art plus modeste, mais qui peut avoir aussi sa grandeur et son prix : l’art des jardins. S’éclairant fort à propos des belles études de M. Vitet[1], l’auteur indique à merveille la proportion délicate où doivent s’unir dans un

  1. Études sur les Beaux-Arts, t. 1er, p. 315.