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J’en demande bien pardon à l’auteur, mais parler un tel langage, dire que tout trait de laideur est une infraction contre l’ordre, c’est faire le procès à la nature et à son auteur, c’est considérer le mouvement varié des générations animales comme une dérogation perpétuelle à l’ordre divin. Qu’est-ce donc pourtant que cet ordre dont vous parlez ? Serait-il dans l’ordre qu’il n’y eût point de nègres ? Serait-il dans l’ordre qu’il n’y eût ni pourceaux, ni araignées ? J’avais toujours cru que l’ordre de la nature, c’était l’existence et le maintien des genres et des espèces avec les attributs particuliers qui les caractérisent et qui se diversifient à l’infini dans les individus. Tel animal a les oreilles longues, il est dans l’ordre ; tel autre a un groin allongé, les yeux petits, les pattes courtes, il est dans l’ordre. Chaque bête a son langage : l’une brait, l’autre coasse, une autre glapit ; elles sont dans l’ordre ; cela ne fait pas, j’en tombe d’accord, que la voix du corbeau soit belle, ni le chant de la grenouille harmonieux. En résumé, je ne crois pas que M. Lévêque, en dépit de tout son art, parvienne à masquer le vice inhérent au système des idées. Si le type divin ne contient que les conditions générales de l’espèce, alors tous les individus sont beaux, excepté les monstres ; encore l’anatomie philosophique a-t-elle fait voir que les monstres eux-mêmes sont assujettis à des lois et tiennent par quelque racine à l’ordre universel. Si le type divin contient, outre les conditions générales de l’espèce, toutes les conditions particulières de la beauté, alors tous les individus sont laids, et la nature est une révolte perpétuelle contre l’idéal.

Ces objections suffiront pour montrer à M. Charles Lévêque que je ne rejette pas légèrement sa théorie des huit caractères élémentaires de la beauté. J’aurais pu le chicaner sur plusieurs de ces caractères, tels que l’unité, la variété, l’harmonie, la convenance ; j’aurais pu lui dire que l’unité et la variété sont plutôt des conditions générales de toute existence et de toute vie que des traits particuliers de beauté, que l’harmonie n’est rien de bien déterminé dans sa doctrine, car tantôt il en fait un caractère élémentaire du beau, et tantôt la réunion pure et simple de l’unité et de la variété ; j’aurais pu lui reprocher aussi que la convenance, telle qu’il la définit assez arbitrairement, n’étant que la position des belles choses dans le milieu le plus favorable, est un caractère tout extérieur et relatif du beau, et non un caractère interne et vraiment absolu. Au lieu de m’arrêter à cette polémique de détail, j’ai mieux aimé aller droit à l’idéalisme, car c’est bien là le fond de sa métaphysique. Il a beau dire que sa théorie des huit caractères élémentaires n’est qu’un simple prologue psychologique, la vérité est que ce prologue est toute la pièce. Si l’on s’en rapportait à l’ordre et au titre des chapitres, ce serait la psychologie qui conduirait par degrés l’auteur