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à l’examen ces formes originales que donne à la beauté le génie de l’homme, depuis l’architecture, berceau des beaux-arts, jusqu’à la poésie, le plus épuré, le plus libre, le plus expressif de tous. La science alors est terminée, et il ne lui reste plus qu’à tracer elle-même sa propre histoire et à dire comment elle est parvenue, depuis Platon jusqu’à Hegel, à travers mille tâtonnemens et mille théories, à se rendre maîtresse de ses méthodes et de ses principes fondamentaux. Tel est l’immense cadre du livre de M. Charles Lévêque. C’est un service considérable de l’avoir tracé, surtout de l’avoir rempli, et voilà un titre d’honneur qui ne sera pas contesté à l’auteur, même par ceux qui seraient tentés sur beaucoup de points de le contredire ; car il faut en venir enfin à se demander ce qu’il y a de neuf et de durable dans ses recherches, soit sur la partie psychologique de la science, soit sur la métaphysique du beau, soit sur la théorie des beaux-arts.


II

Je distinguerais volontiers dans le livre de M. Lévêque ce qui est d’observation et ce qui est de système, d’une part la psychologie naturelle et sincère, de l’autre la psychologie systématique et artificielle. Tout ce qui est d’analyse prise sur le vif, on ne peut assez le louer. Pour le reste, c’est une autre affaire, et plus d’un doute se présente à l’esprit. Je ne crois pas que personne ait jamais aussi bien décrit que M. Lévêque les effets du beau sur la sensibilité, ni mieux distingué dans cette impression multiple l’émotion délicieuse et passive du mouvement actif et affectueux. Le chapitre où sont analysés les effets du beau sur nos facultés actives est encore plus original. C’est ici un ordre de recherches tout à fait neuf, que l’auteur a eu le mérite d’inaugurer, où il me semble même qu’il aurait pu aller plus loin. Il montre du moins de la manière la plus intéressante que dans tout homme, même le moins cultivé, sous la rudesse et la grossièreté de l’écorce, il y a un artiste caché. Tout homme en effet est capable à quelque degré de sentir le beau, et dès que ce sentiment entre dans l’âme, il l’anime, l’échauffe, la transforme. Touchée du rayon divin, elle tend à manifester son émotion au dehors, à la répandre, à la faire partager. Le regard s’éclaire, le geste s’anime, la langue se délie. Le plus timide devient éloquent. Il y a déjà là un commencement d’inspiration et de création esthétique. Joignez-y le don supérieur de fixer l’émotion fugitive sous une forme précise et durable, et vous avez un de ces génies souverains, Shakspeare ou Michel-Ange, natures d’élite sans doute, mais qui ne sont pas pétris d’un autre limon que le reste des