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Il y avait dans l’auditoire de M. Cousin un jeune homme que le souffle de l’esprit nouveau avait touché. C’était une nature recueillie, intérieure, un méditatif. Ni la controverse philosophique, ni l’érudition ne l’attiraient. Que Condillac se fût trompé sur l’origine des idées, peu lui importait, et il se souciait médiocrement de savoir ce que Platon et Aristote, Descartes et Leibnitz avaient pensé sur l’essence des choses ; mais soulever un peu, si peu que ce fût, le voile qui nous dérobe les vérités premières, voilà ce qui tentait fortement son intelligence, et il se plongeait avec ardeur dans l’analyse intérieure, non pour y trouver un nouveau système, pour fonder une école, pour entendre autour de lui des disciples enthousiastes, des adversaires acharnés et tout ce grand bruit qu’on appelle la gloire, mais plutôt pour jouir au dedans de lui de la vérité entrevue, pour goûter le bonheur de voir clair en ses pensées, surtout pour donner quelque soulagement à son âme profondément troublée du problème de la destinée humaine. Telles étaient les dispositions secrètes de cet étudiant de Sorbonne au visage mélancolique et doux, récemment arrivé des montagnes du Jura à l’École normale et qui devait rendre illustre le nom de Jouffroy. À l’intelligence’et à l’âme d’un penseur il unissait l’imagination d’un poète, et il ne connaissait pas, après les labeurs et les joies austères de la réflexion philosophique, de délassemens plus doux que la contemplation de la nature et les délicieuses émotions de l’art. Encore à l’âge d’écolier, il écrivait pour son examen de docteur une thèse sur le sentiment du beau. Les idées qui germaient en lui dès cette époque (1816), développées par la parole fécondante de M. Cousin, ne tardèrent pas à s’épanouir. C’était en 1822. L’École normale venait d’être supprimée. M. Jouffroy, chassé de sa chaire, eut l’idée de s’en faire une autre, moins exposée aux coups d’un gouvernement ombrageux et violent, en réunissant autour de lui, dans une modeste chambre d’étudiant, une vingtaine de jeunes gens, ses contemporains et ses camarades. Ce petit cénacle de la rue du Four a pris place dans l’histoire. Ces jeunes gens inconnus s’appelaient Duchâtel, Vitet, Damiron, Dubois, Sainte-Beuve. C’était le Globe au berceau, grandissant dans l’ombre et se préparant par la méditation abstraite aux grandes luttes de la vie publique. De quoi parlait Jouffroy à ces publicistes, à ces économistes, à ces lettrés, à ces futurs conseillers d’état, députés et ministres ? Il leur parlait de l’âme immortelle et de l’essence du bien. C’est de là qu’est sorti un livre malheureusement inachevé, le Cours d’Esthétique, publié après la mort prématurée de Jouffroy par les soins pieux de son meilleur ami.

Je n’ai point à exposer ce livre, mais j’en voudrais indiquer les aperçus les plus originaux. On pense bien que Jouffroy, le philosophe