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et quand il la pressa ensuite de tenir sa parole, elle répondit qu’elle n’avait dit cela que dans un moment de léger chagrin oublié depuis longtemps. Elle renvoyait brutalement les pauvres qui venaient à sa porte, puis elle les rappelait, leur demandait pardon, et les chargeait d’aumônes. Après avoir juré cent fois de ne plus revoir Gaspard, elle fut un instant presque résolue à quitter le pays avec lui et à aller vivre loin de ces affreuses gens d’Alaise, qui s’étaient permis sur son compte des propos si noirs et si épouvantables.

Cette crise dura près d’un mois ; l’issue en fut heureuse. Cyprienne fut bien loin d’en sortir une fille accomplie, mais elle s’y dépouilla cependant de bon nombre de ses défauts. Plus dès lors de coquetterie ni d’humeur moqueuse, bien moins de caprices et d’orgueil. Elle avait regardé jusqu’à ce moment comme fort au-dessous d’elle d’aller travailler aux champs ; à la grande surprise de son père, qui ne pouvait en croire ses yeux, elle y alla certaine après-midi. À toute bonne action sa récompense. C’était le moment des regains ; fraîche comme une églantine à peine ouverte, elle était charmante sous son grand chapeau de bergère, et quand par momens elle s’appuyait, pour reprendre haleine, sur le long manche du râteau, elle avait tant de grâce dans cette attitude que les faucheurs s’arrêtaient tous pour la regarder. Elle était bien lasse le soir et ses mains étaient bien blessées, mais elle n’annonça pas moins en soupant qu’elle retournerait faner le lendemain.

— Et tes mains ! lui dit son père ; vois dans quel état elles sont déjà !

— Elles s’y feront, répondit Cyprienne ; il faudra bien qu’elles s’habituent.

— Non, non, je ne le veux pas, répliqua le vieillard.

— Eh bien ! père, dit-elle, c’est moi qui porterai la soupe aux ouvriers le matin et à midi ; vous m’accorderez bien cela, n’est-il pas vrai ?

Urbain consentit, et, tant que durèrent les fenaisons, elle porta le déjeuner et le dîner.

La conduite de Cyprienne vis-à-vis de Gaspard était dictée par les mêmes sentimens. Un jour, le jeune homme étant venu lui offrir un panier de truites toutes fraîches et qui sortaient à peine de l’eau, elle eut le courage de les refuser, en lui disant qu’il ferait mieux de s’occuper de ses champs, et qu’elle n’épouserait jamais un braconnier. Gaspard eut beau insister, il dut remporter son poisson. Elle ne lui fit pas toujours, il est vrai, un accueil aussi sévère ; mais, quelque beau que fût le temps, elle le reçut toujours au poêle, et non plus comme autrefois sous.la treille du jardin. Tout, dans un jardin invite à aimer : le demi-jour de la tonnelle, l’air chargé de senteurs