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que dit mon corbeau, c’est j’aime Cyprienne, et il dit ces trois mots cent fois par jour.

— Voilà un corbeau galant, repartit vivement Cyprienne. Si l’oiseau parle si bien, que sera-ce de la personne qui lui a fait la leçon ? Voyons, Michel, je vous écoute.

Cyprienne avait dit ces paroles d’un ton de gaieté railleuse.

— Écoutez-moi sans moquerie, dit Michel tout à fait ému. Vous êtes riche et je n’ai rien, vous êtes belle à rendre jalouses toutes les filles du pays, et moi, je ne suis qu’un pauvre charbonnier, noir comme suie six jours de la semaine. Et cependant je vous aime, Cyprienne ; je vous aime depuis le jour du mariage de votre cousine Sidonie, il y aura bientôt deux ans ! Vous étiez en blanc avec toutes les filles du village ; c’est vous qui avez fait le compliment aux mariés, vous vous en souvenez bien, et qui leur avez présenté les dragées de noce et le mouton tout couvert de rubans. La mariée passait pour jolie, mais personne ne la regardait, tous les yeux étaient fixés sur vous. Depuis ce jour, je vous aime, mais personne n’en a rien su, pas même vous, Cyprienne. J’aurais continué à me taire, mais j’ai appris ces jours derniers qu’un véritable danger vous menaçait…

— Vous m’effrayez, Michel, dit la moqueuse villageoise en riant aux éclats ; notre maison court-elle risque de tomber ? Y a-t-il des vipères dans ces fagots ? J’ai une peur mortelle de ces bêtes-là. Parlez, Michel, parlez, je vous en prie.

— Votre maison est solide, et vous n’avez rien à craindre des vipères ; mais il y a bien d’autres dangers pour les personnes jeunes et confiantes comme vous… Demandez au père Urbain ou à M. le curé ; tous deux vous diront qu’à mal placer sa confiance on s’expose à tout perdre, et qu’être mordu par une vipère n’est pas toujours le plus grand des malheurs.

— Bien prêché, Michel ; mais, dites-moi, ne craignez-vous pas qu’on vous réponde, comme au putois la poule : Tu me détournes du renard, putois ; c’est pour m’attirer vers ton trou !

Cette ironique sortie eût peut-être achevé de déconcerter le jeune homme, s’il n’eût pas eu un de ces cœurs sans alliage, qui ne manquent jamais de rendre au moindre choc le son pur de l’honnêteté. Cyprienne l’avait blessé au vif. Il répondit, non plus en amant timide et gauche, mais en honnête homme qui se sent outragé : — Moi ! vous ne me connaissez pas, Cyprienne ; je vous aime, c’est vrai, mais je sais ce que je suis et ce que vous êtes. Pourquoi ne suis-je pas votre frère ? Je vous parlerais à cœur ouvert, je pourrais tout vous dire, et peut-être finiriez-vous par m’écouter ; mais je n’ai pas les droits d’un frère, et il y a bien des choses qu’il faut que je taise. Puissé-je me tromper ! puissiez-vous être heureuse avec celui