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on ne dort pas toute la nuit. Je t’ai vu arracher le cerisier et planter l’if. Cyprienne ne sait rien de tout cela, et bien heureusement ; elle en serait morte de chagrin. Elle a de l’honneur, vois-tu, Michel ! Elle en a, je le sais, moi qui suis son père. Tout son tort est d’être bien jeune, et peut-être l’ai-je un peu gâtée ; sa mère était morte, et je n’avais qu’elle pour tout enfant. Tu l’as sauvée, Michel, en arrachant ce cerisier maudit ; je viens te demander de la sauver encore une fois. Gaspard la poursuit, tu ne l’ignores pas, et hier il a osé me la demander. À lui ma fille, ma Cyprienne ! Il la ruinerait et en ferait la plus malheureuse des femmes. Il me sait vieux, et c’est ce qui l’enhardit. Il faut que tu la voies, Michel, et que tu te fasses aimer d’elle. Tu te gênes trop avec les filles : c’est bon avec les demoiselles de la ville ; mais au village il ne faut pas tant de biais ni tant de façons. Plaisante avec elle, comme font les autres garçons ; amuse-la et fais-la rire ; je suis son père, et je te le permets. Je t’aiderai tant que je pourrai ; je parlerai chaudement pour toi, et il faudra bien qu’elle finisse par nous écouter. Tu viendras demeurer avec nous ; Dieu veuille que ce soit bientôt ! Allons, mon garçon, puis-je compter sur ta parole ?

Michel ne s’était attendu ni à un tel allié, ni à une telle proposition. Il remercia le père Urbain avec effusion, et tous deux convinrent que le jeune homme ferait dès le lendemain une première démarche près de Cyprienne. Comme il importait qu’elle ne sût rien de leur accord, le père Urbain dut ne pas assister à l’entrevue. Le lendemain, Michel était prêt de très bonne heure ; mais comment aborderait-il la jeune villageoise, et avec quelles paroles ? Le charbonnier trouva Cyprienne seule au poêle et jouant avec un oiseau apprivoisé que lui avait donné Gaspard.

— Bonjour, Michel, dit-elle au jeune homme ; vous voilà beau comme pour une procession de Fête-Dieu ! Vous avez à parler au père Urbain, n’est-il pas vrai ? Il doit être au village ; je vais le chercher.

— Ne vous dérangez pas, Cyprienne, répondit le charbonnier, j’attendrai. Savez-vous que vous avez là un joli bouvreuil ? Sait-il chanter ?

L’oiseau parut avoir compris la question, car il se mit sur-le-champ à siffler une chanson du pays. — Moi aussi, fit Michel, j’ai un oiseau apprivoisé, mais il n’est pas aussi joli que le vôtre. Je n’ai pas peur de le noircir en le caressant, c’est un corbeau. Je n’ai jamais pu lui apprendre que trois mots qu’il répète cent fois par jour ; mais je n’ose pas vous les dire, vous vous fâcheriez.

— Lesquels ? demanda Cyprienne à moitié curieuse, à moitié indifférente.

— Vous allez vous fâcher, dit Michel en rougissant. Eh bien ! ce