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La discussion de cette loi excite encore une curiosité malicieuse, en raison des belles choses débitées dogmatiquement par de grands banquiers et certains hommes d’état sur les dangers de la coexistence de plusieurs banques dans un pays, sur les inconvéniens de la faible coupure des billets ou de la publication d’un bulletin, non pas tous les mois, comme aujourd’hui, mais tous les trois mois seulement. Bref, en même temps qu’on prolongeait de vingt-cinq ans le privilège de la Banque de France, il fut décidé qu’aucune banque départementale ne serait plus établie à l’avenir qu’en vertu d’une loi spéciale, et qu’il faudrait aussi une loi pour renouveler les privilèges des banques existantes, comme pour les modifications à introduire dans leurs statuts. Cette complication d’une procédure déjà bien difficile découragea les compétiteurs. Les tentatives pour l’établissement des banques locales cessèrent. La Banque de France prit à tâche la multiplication de ses propres comptoirs. S’il y eut de la part de quelques compagnies des tentatives pour former des caisses d’escompte, non-seulement elles durent se passer d’un papier de circulation, mais elles n’obtinrent pas même la faveur de se constituer en sociétés anonymes : il ne leur fut permis de vivre qu’à l’état de commandite, ce qui a sans doute contribué au mauvais sort de la plupart d’entre elles.

Ainsi, vers 1842, — remarquons cette date, c’est précisément celle où le grand coup d’état frappé par Robert Peel supprimait en Angleterre la cause la plus immédiate des bouleversemens politiques, — le mouvement en sens contraire s’achève chez nous. Il y a dès lors un groupe de producteurs, bénéficiant « des erreurs économiques d’un demi-siècle, privilégiés sans le savoir, qui, affranchis de la concurrence étrangère, peuvent assigner aux choses les plus essentielles des prix à leur convenance, et qui peuvent en outre limiter la concurrence intérieure par les facilités exceptionnelles qu’ils ont pour diriger l’agglomération des capitaux et former des sociétés. Ne leur en faisons pas un crime : leur éducation, leurs idées étaient celles de leurs pères, celles de leur propre époque, celles qu’ils rencontraient même chez leurs adversaires politiques. N’était-ce pas un fait commun à tous les pays, pouvaient-ils dire, que des règlemens de faveur tendant à former une classe de grands commerçans ? Cela est vrai ; mais ce qu’on n’avait vu nulle part avant 1815, et ce à quoi les législateurs n’avaient pas songé, c’était un système électoral faisant des grands producteurs, des grands spéculateurs, une espèce de coalition instinctive, inévitable, prépondérante. Un des coryphées du parti protectioniste, qui a été député et ministre, le comte Jaubert, impatienté un jour d’entendre murmurer autour de la tribune les mots de féodalité nouvelle, s’avisa de dire : « Aucune société