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qu’on empiète sur leur domaine : installées les premières, elles ont d’ordinaire l’avantage du site ; leur capital de création est depuis longtemps amorti ; les ressources ne leur manquent pas pour réaliser les améliorations technologiques : elles veulent regagner le terrain qu’on leur dispute, et la marge de leurs bénéfices est assez grande pour qu’elles puissent réduire leurs prix peu à peu en gagnant beaucoup encore. Alors s’évanouit pour les maisons nouvelles l’illusion des prix factices : installées généralement dans les conditions les moins avantageuses, la marge de leurs bénéfices est trop étroite pour qu’on puisse la réduire beaucoup ; si elles prolongent la lutte, c’est en pesant sur les ouvriers, en réduisant les salaires quand on travaille, ou en fermant les ateliers dès qu’il y a engorgement de marchandises dans les magasins. N’est-ce pas là le commentaire de ces clameurs désespérées que nous avons entendues contre les abominations de la concurrence, contre les excès de la production au moment où tant de malheureux manquaient des moyens d’acheter ? Je prévois cette objection. Si les maisons créées étourdiment sous l’illusion du système protecteur n’avaient pas existé, comment auraient vécu les ouvriers qui y ont été employés ? — Je répondrai : Les exploitations vraiment utiles et proportionnées aux forces de la population ne manqueront jamais dans un pays où les capitaux pourront se grouper et se répartir librement. Ceci nous amène à dire où en était l’opinion publique en matière de sociétés commerciales et de crédit.

En 1836, au moment où l’on considérait le pouvoir nouveau comme consolidé, il se manifesta une fièvre de spéculation qui atteignit vers 1830 son maximum d’intensité. La question des chemins de fer arrivait à l’ordre du jour, et il était difficile de l’étudier sans avoir le pressentiment de quelque grande rénovation industrielle. Les têtes en feu ne rêvaient plus qu’asphaltes, charbonnages, forges, bateaux, ou pour mieux dire primes à la Bourse. Comme on multipliait les sociétés avec une fougue étourdie, l’attention publique se porta sur la loi qui régit la matière. Les jurisconsultes qui ont rédigé notre code de commerce ont admis trois formes, la société en nom collectif, qu’ils définissaient une association de personnes, la société anonyme, qui était à leurs yeux une association de capitaux et une forme intermédiaire, la commandite, où les personnes et les capitaux se trouvaient réunis. Le mieux aurait été peut-être qu’on ne fît pas de loi, et qu’on laissât les citoyens associer leurs capitaux et sauvegarder leurs intérêts comme bon leur semble, pourvu que l’objet de la spéculation ne fût pas contraire à l’ordre public. Appel, ayant été fait à des jurisconsultes, il fallait s’attendre à une loi tournée plutôt du côté du passé que vers l’avenir. Sous l’ancien régime,