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prépondérante, même dans l’ordre politique. Malgré le double vote, chaque élection lui faisait une place plus large dans la chambre. Le producteur, opposé comme type au privilégié oisif, fournissait aux journaux un argument de polémique, et le beau rôle dans les vaudevilles était toujours pour le brave colonel devenu banquier ou maître de forges. Une inquiétude jalouse gagna donc le pouvoir. Il eut la velléité de réagir. M. de Saint-Cricq, appelé au ministère de l’intérieur par M. de Martignac, institua dès 1828 une commission d’enquête chargée de rechercher si l’on n’avait pas poussé jusqu’à l’excès le principe de la protection. Cela n’aboutit qu’à la présentation d’un projet de loi dont la discussion fut éludée par des ajournemens successifs. Il y avait en ce moment recrudescence de fièvre politique : les seuls problèmes capables de passionner la foule étaient ceux qui touchaient à l’existence de la dynastie, et les conflits industriels ne furent pour rien dans la révolution qui renversa les Bourbons de la branche aînée.


II — MONARCHIE PARLEMENTAIRE.

La révolution de 1830 allait transférer la puissance effective à la bourgeoisie constitutionnelle, qui était en possession de la popularité depuis dix ans. Cette souveraine apportait, comme don de joyeux avènement, la négation du droit divin, l’abolition de la pairie héréditaire, la suppression du double vote, l’abaissement du cens électoral à 200 francs et de la limite d’âge à vingt-cinq ans, une réduction de moitié dans le cens d’éligibilité, la responsabilité ministérielle, l’initiative des projets de loi rendue aux deux chambres en partage avec le roi, des garanties pour la liberté de conscience par l’abolition de la religion d’état et de la loi du sacrilège, l’application du jury aux délits de presse et aux délits politiques. À cette époque, le pays, pris dans son imposante majorité, ne voyait guère au-delà de ce programme. Quant à la portée économique de ces changemens, à leur influence sur les phénomènes commerciaux, on s’en inquiéta peu. Le monde politique n’avait pas pour habitude de se placer à ce point de vue pour envisager les faits. À part peut-être quelques rêveurs laissés à l’écart comme des sectaires, on ne remarqua pas tout d’abord que l’abaissement du cens à 200 francs, en amenant sur le terrain politique plus de cent mille électeurs recrutés dans la clientèle de la grande industrie, allait prêter une force irrésistible au régime commercial qui excitait déjà de nombreuses réclamations, quoiqu’il n’eût encore que peu d’années d’existence.