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armateurs, qu’une surtaxe de 1 franc 25 centimes par hectolitre de grains ou de 2 francs 50 centimes par quintal de farine est un obstacle de plus à la concurrence étrangère.

C’était encore une pensée bien chimérique que celle d’établir une féodalité agricole, ayant pour base, comme en Angleterre, le monopole des grains. Le domaine cultivable est limité chez nos voisins et partagé entre un assez petit nombre de familles opulentes qui, avant la réforme, n’avaient pas de concurrence à craindre et restaient maîtresses des prix. En France au contraire, il y avait beaucoup de terrains disponibles, et il était naturel que la culture des céréales s’étendît sous l’illusion des prix séduisans que la loi assurait. Cette émulation, coïncidant avec des saisons favorables, amena une abondance décourageante. Les fermiers voyaient avec effroi les prix de vente baisser au milieu d’une tendance générale à l’augmentation des fermages. Stupéfaits d’un pareil phénomène, les inventeurs de l’échelle mobile se persuadèrent que la machine ne fonctionnait pas avec assez d’énergie, et qu’il fallait la fortifier. Le double vote venait d’être introduit dans la constitution. La grande propriété territoriale était devenue prépondérante dans les deux assemblées ; on prit à tâche de remanier l’échelle mobile, et elle sortit de cette seconde élaboration avec une force presque prohibitive. Il est juste de rappeler au surplus qu’à l’exception de Benjamin Constant et de Voyer d’Argenson, qui furent très énergiques, la gauche et la droite restèrent le plus souvent à l’unisson. C’est dans une de ces mémorables séances qu’un grand manufacturier membre de l’opposition, Humblot-Conté, émit ce principe, aussi faux qu’inhumain, que le bas prix des vivres engendre l’indolence chez les ouvriers, et qu’il est bon que la cherté les enchaîne au travail. En somme, on admit une forte élévation de l’échelle régulatrice des prix, pour réduire à presque rien la concurrence des grains étrangers. La loi fut votée à une grande majorité par les députés, à l’unanimité et sans discussion par les pairs.

La loi sur les céréales n’ayant pas les vertus qu’on en attendait, les grands propriétaires se retranchèrent sur un terrain où ils ne pouvaient plus être suivis par les cultivateurs nécessiteux, qui se comptent chez nous par millions. Ils réclamèrent la protection comme producteurs de viandes, de laines, de cuirs, de suifs. En 1822, le gouvernement ayant proposé un droit de 30 francs par tête sur les bêtes à cornes et les chevaux, la commission de la chambre l’éleva à 50 francs, en regrettant de ne pouvoir faire davantage. Le droit à l’entrée des suifs passa proportionnellement de 2 fr. 50 cent. et 5 francs par quintal, suivant le mode d’importation, à 15 et 18 francs. Les laines étaient restées jusqu’en 1820 sous l’empire