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Le pouvoir s’en tint donc à un système dont M. de Saint-Cricq, directeur-général des douanes, a fourni la brillante expression. On condamna la prohibition comme principe permanent, mais on reconnut la justice et l’opportunité d’une protection pour l’industrie nationale. La différence était dans les mots plus que dans les choses. Les industriels ne se croient suffisamment protégés que lorsqu’ils sont affranchis de l’effort et mis à l’abri de la concurrence.

On ne procéda pas d’abord en vertu d’un plan d’ensemble. Les projets soumis aux chambres jusqu’en 1820 semblent être des concessions faites à des importunités. Ainsi dès 1816 les fabricans de tissus se font autoriser à employer les agens de la douane pour rechercher et saisir jusque dans les ateliers des confectionneurs et des marchandes de modes les étoffes qui ne sont pas d’origine française. Cette rigueur exceptionnelle a perpétué et fortifié en leur faveur la prohibition, qu’ils n’avaient sollicitée que pour quelques jours. Les ports de mer obtiennent que les denrées coloniales ne soient pas introduites par voie de terre. Bien que nos tréfileries ne puissent pas fournir la quantité de fil métallique destiné à la confection des épingles, elles font élever à 1 franc par kilo le droit sur les laitons étrangers. Chaque localité, chaque industrie introduit à tour de rôle sa petite demande, et la majorité enchérit presque toujours sur les concessions du ministère.

Les agriculteurs n’étaient pas les derniers ni les moins ardens à réclamer la protection. Les doléances dont ils fatiguaient les deux chambres n’étaient pas désagréables à la monarchie restaurée : cela autorisait son espoir de trouver son point d’appui dans une espèce d’aristocratie territoriale. Lorsqu’en 1819 M. Decazes présenta le projet qui était la première ébauche de l’échelle mobile, il déclara franchement que « la disposition de la loi était essentiellement calculée dans l’intérêt de la propriété. » L’idéal du jour était d’assurer aux grains un prix « rémunérateur », c’est-à-dire assez élevé pour que le propriétaire pût être plus exigeant avec ses fermiers, ou vendre son fonds avec plus d’avantage. La mobilité des tarifs devait agir de manière que l’importation et l’exportation fussent alternativement favorisées ou empêchées à mesure que les cours des marchés publics s’éloigneraient plus ou moins du taux considéré comme normal. Il avait été constaté dans les ports de la Méditerranée que, sur cent quarante navires apportant les grains de la Mer-Noire, dix seulement étaient français. Que vont faire les armateurs de Marseille, de Toulon et de Cette ? Aviseront-ils aux moyens de naviguer aussi économiquement que les Grecs et les Génois ? Il est bien plus simple de demander à la chambre que la navigation étrangère soit surtaxée ? Les propriétaires accueillent d’autant mieux la demande des