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chambre introuvable, engouée de son projet de dotation en faveur du clergé, avait inquiété les capitalistes en reprenant les forêts affectées à la garantie des créances arriérées. Toute sorte de colères enflammaient les esprits, et la disette était menaçante. L’avantage de la France était de n’avoir pour ainsi dire pas de dette publique : 63 millions de rentes seulement étaient inscrits à son grand-livre. Tout le monde invoquait le crédit, et personne n’y avait foi. Les financiers accrédités, le duc de Gaëte, le marquis Germain Garnier, ne croyaient pas qu’il fût possible d’exécuter un emprunt normal. Le ministre Corvetto ne trouvait pas à négocier raisonnablement 6 millions de rentes qu’on avait mis à sa disposition comme ressource extraordinaire. On se ralliait cependant à un plan de crédit proposé par Laffitte, mais sans y compter beaucoup. Un grand remueur d’affaires chez qui la dextérité dans le tour de main devenait parfois du génie, Ouvrard, rompit la glace et donna l’impulsion. Il imagina de payer les étrangers avec leur propre argent, c’est-à-dire de faire accepter aux puissances créancières de la France les rentes offertes par l’entremise des maisons Hope et Baring, qui se chargeraient de les négocier. Il connaissait assez bien son monde financier pour savoir que les capitalistes de Paris se précipiteraient sur la rente française dès qu’ils la sauraient prise par les grands banquiers de Londres et d’Amsterdam. Si la conscience d’Ouvrard est restée chargée de quelques peccadilles financières, il mérite l’absolution pour le grand service qu’il a rendu à la France en cette occasion. À part le succès politique, la rente française est devenue depuis cette époque une valeur des plus recherchées. Les diverses négociations en 5 pour 100 faites avant 1830 se sont élevées du chiffre de 57 francs 51 centimes, accepté par MM. Hope et Baring, jusqu’à 89 francs 55 centimes. Les bénéfices réalisés entre cette marge par les grands banquiers ont formé des accumulations de capitaux qui sont venus s’immobiliser dans l’industrie française et l’ont régénérée.

J’ai dit que le gouvernement royal, à son avènement, s’était défendu de s’engager en matière de douane, se réservant d’élaborer un système à loisir. À travers les luttes politiques de la seconde restauration, sa liberté d’action se trouva plus enchaînée que jamais. D’une part, il était dominé par l’idée fixe de constituer une noblesse conservatrice qui lui fournît un point d’appui, et de l’autre le mécanisme électoral le subordonnait de plus en plus à la domination des grands chefs d’industrie. Ces deux influences, quoique hostiles, le poussaient dans la voie du système prohibitif : il en connaissait vaguement les écueils, et il désirait les éviter ; mais il était faible, et le peuple, indifférent à ces problèmes, ne le soutenait pas plus sur le terrain de l’économie sociale que sur celui de la politique.