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qui peuvent se rattacher aux usages du turf. S’étant dit un jour : « Ayons les plus beaux chevaux du monde ! » les Anglais ont cherché à stimuler par tous les moyens le goût des courses. Sans aimer le jeu ni l’agiotage, ils les acceptent comme des auxiliaires regrettables, mais puissans, qui entretiennent dans certaines classes de la société le feu sacré du sport. Leur principe est qu’on ne fait rien de bon sans enthousiasme, et dans la Grande-Bretagne la question d’argent ne se montre point étrangère aux excitations de la fantaisie. Ne se cache-t-il point d’ailleurs dans le turf un intérêt sérieux ? Des personnes se demandent si les courses de chevaux sont réellement utiles à l’agriculture ou à l’industrie, et quelques-unes d’entre elles inclinent à penser que ces bêtes de parade ne servent qu’aux plaisirs de riches amateurs. Cette opinion ne résiste point en Angleterre au contrôle des faits. Le race horse constitue ce que les Anglais appellent un standard, c’est-à-dire un type, un idéal qui maintient le reste de la race chevaline à une hauteur respectable. Pourquoi rejetterais-je une comparaison qui m’a été faite plus d’une fois par des turfites ? Les grands écrivains d’un pays, disent-ils, ne représentent point toujours la supériorité du pays lui-même ; ce sont, si l’on veut, des esprits de luxe, des esprits d’élite : qui oserait pourtant nier qu’ils ne servent à élever dans les masses la moyenne de l’intelligence ? Eh bien ! la beauté physique a aussi besoin d’être soutenue par des modèles, et c’est à ce besoin que répond, en ce qui regarde les chevaux, la classe des thorough bred. Croisés avec d’autres types plus robustes et plus résistans, ils donnent de vaillans élèves pour l’agriculture et le travail. C’est grâce à eux en partie que l’Angleterre, le pays où la moyenne de la vitesse est plus grande que partout ailleurs, a formé son excellente race de chevaux de trait. Quelques économistes se sont même demandé si ce n’était point à son amour pour les animaux, et pour le cheval en particulier, que l’Anglais devait ses succès dans les colonies. Partout en effet où ce peuple entreprenant se jette sur le désert, il y arrive avec la masse des forces qu’il s’est données dans la nature vivante, et à l’aide desquelles il efface les distances, transforme le sol et propage la vie de société. Une institution qui répond si bien au goût de la nation anglaise, qui est à la fois un amusement et un moyen de conquête, ne saurait périr pour quelques abus. Aussi les moins enthousiastes et les plus désintéressés dans la question des paris reconnaissent-ils que la Grande-Bretagne a eu raison d’entourer de toute sorte d’attraits et de solennités des jeux au fond desquels on distingue l’accroissement de la puissance humaine sur la matière.


ALPHONSE ESQUIROS.