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prix convenu les lumières de leur expérience. Malheureusement le don de seconde vue est aussi rare sur le turf que dans les séances magnétiques, et, malgré toutes les mains qui promettent de lever le voile de l’avenir, la plus profonde obscurité règne jusqu’au dernier moment sur les résultats futurs d’une course de chevaux. À l’exemple des anciennes sibylles, quelques-uns des faiseurs de tips rédigent leurs oracles en vers, sans doute pour ajouter au sens ambigu de leur langage cabalistique. Quand on regarde au peu de portée qu’ont en général ces pronostics, on s’étonne que les augures puissent se rencontrer sans rire sur le turf ; mais l’homme ne rit point de ce qui le fait vivre, et beaucoup de gens en Angleterre n’ont pas d’autre moyen d’existence. Après l’événement, tout le monde veut avoir prédit juste : les devins publient alors dans les journaux de sport une partie de leur tip, et comme ils ont dit du bien de plusieurs chevaux, ils font imprimer naturellement les lignes par lesquelles ils reconnaissaient d’avance les rares qualités du vainqueur, Cette annonce est suivie d’une conclusion invariable : « Sportsmen, montrez-vous généreux ! » Les tipsters attendent en effet, outre leurs gages, une récompense de la part des betting men qu’ils sont censés avoir mis sur la piste du coursier couronné par le succès. Qu’est-ce d’ailleurs qu’un cadeau de deux ou trois souverains pour celui qui vient de gagner des paris considérables ? Une seule question m’arrête : si ces sorciers du turf ont des lumières si sûres, je me demande pourquoi ils les communiquent aux autres, au lieu de les garder pour eux-mêmes ? Dans cette foule obscure des agens qui font métier de prédire l’avenir des courses, il ne faut point confondre les rédacteurs qui hasardent le même genre de conjectures dans les journaux. Ces derniers sont dirigés dans leurs prévisions par des données plus ou moins savantes, et pourtant combien de-fois ne se trompent-ils point ! Cette année surtout le turf a été fertile en surprises. La plupart des grands prix ont été gagnés par ce que les sportsmen appellent des outsiders, chevaux sur lesquels on ne comptait nullement. On m’assure que le propriétaire d’un des vainqueurs a perdu 500 livres sterling : il avait lui-même si peu de confiance dans son cheval qu’il avait parié pour différentes sommes sur les autres chevaux de la course.

Nul fait ne démontre mieux, je crois, la hauteur à laquelle s’est élevée chez nos voisins l’institution si populaire des courses que le grand nombre de journaux qui se rattachent au turf. D’abord toutes les feuilles politiques ont une ou plusieurs colonnes réservées presque tous les jours aux nouvelles du sport, sporting intelligence. En outre il existe à Londres et dans les provinces une foule de journaux spéciaux qui tiennent au courant de tout ce qui se passe