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une sorte de jargon qui ne manque certes ni d’énergie ni de pittoresque. La plupart des jockeys sont frappés au moral et au physique d’un cachet tout particulier, dont l’empreinte augmente avec l’âge, et qui vient à la fois de la nature et de l’éducation. Leur taille dépasse rarement cinq pieds deux ou trois pouces anglais ; mais ils ont autant de muscles et de nerfs que l’art peut en concentrer dans une si petite forme : je dis l’art, car ces Hercules en miniature doivent en grande partie leur force et leur légèreté aux exercices qu’ils prennent, au régime diététique qu’ils suivent, et aux chaudes couvertures à l’aide desquelles ils provoquent des sueurs abondantes pour se délivrer d’un embonpoint nuisible. Quelques sportsmen se plaignent, il est vrai, du système actuel, qui soumet les jockeys dans la plupart des courses à un poids convenu. Ce système, disent-ils, tend à introduire sur le turf une race de Lilliputiens dont tout le mérite consiste dans l’impondérabilité. Les formes qu’on exige d’eux sont d’ailleurs calculées avec plus ou moins d’excès pour établir une sorte d’affinité entre l’homme et le cheval de course. Démonté, le jockey n’est plus que la moitié de lui-même ; il devient même presque un être ridicule. Il faut le voir à cheval, et alors qui n’admire la grâce, l’élégance, la hardiesse et la résistance flexible de ces petits centaures ? Il y a différentes méthodes ou, comme on dit, différens styles dans la manière de monter les flyers, ces coursiers ailés qui boivent le vent. Par exemple, certains jockeys pensent que, dans une course, il n’y a jamais de temps à perdre ; d’autres au contraire, excellens juges du terrain et de la valeur de leurs adversaires, ne se pressent point au début : ils tiennent la queue jusqu’au moment où ils se glissent dans le groupe des chevaux qui courent, et finissent par tout dépasser en prenant un élan terrible. Il en est aussi qui ont l’art de diviser leur poids en changeant de position sur la selle, et qui, tout légers qu’ils sont, trouvent moyen de s’alléger encore de plusieurs livres. Parmi les jockeys, les uns ont reçu ces dons de la nature ou d’une sorte de science infuse ; d’autres suivent en cela les traditions de leur père, qui était lui-même un jockey, ou celles des grandes écoles d’équitation, qui se continuent comme les écoles de musique ou de peinture.

Un assez grand nombre de jockeys sont mariés. Si j’en crois certains témoignages, ces petits hommes-chevaux, horsemen, ne plaisent point à demi : ou ils ne recueillent que la sympathie et la curiosité un peu dédaigneuses des femmes qui les regardent comme les joujous du turf, ou bien dans d’autres cas ils inspirent des passions fortes et romanesques. La plupart d’entre eux épousent néanmoins des filles de trainer. S’ils ont de la réputation, leur engagement dans la vie est annoncé par les journaux de sport comme on annonce le mariage des artistes ou des princes. Il y a des jockeys