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Tout le long des bâtimens étaient des portes qui s’ouvrent au besoin pour laisser entrer ou sortir les chevaux. Chacun d’eux a sa chambre à coucher. C’est une cellule bien propre, bien éclairée, avec des murs soigneusement blanchis et recouverts de lames de fer, une crèche luisante comme du marbre et un lit de paille fraîche qu’on renouvelle tous les matins : ici l’on ne connaît point le fumier. Chacun de ces chevaux a son groom ou garçon de service pour faire sa toilette et pour veiller à tout. Cette toilette est très compliquée ; elle exige un trousseau complet d’épongés, de peignes, de brosses, de serviettes et d’autres ustensiles qui rappellent le boudoir d’une femme du monde. Les chevaux sont en outre habillés de vêtemens de drap dont plus d’un pauvre de Londres aimerait à se couvrir. Les grooms, qui ont presque tous le même âge (douze ou treize ans) et qui présentent entre eux des traits de famille, couchent eux-mêmes dans les écuries sur des lits qu’on relève pendant la journée, et qui prennent alors la forme d’une commode. Je visitai successivement vingt-sept chevaux, sans compter ceux qui sont dans les prairies ou les haras, et qui s’élèvent au nombre de soixante-dix. Eh bien ! chacun d’eux est relativement une fortune. Ils portent tous des noms connus ou fameux, ils ont figuré avec honneur dans les luttes du turf, et leur généalogie est sans tache. Presque tous ont du sang arabe dans les veines. Quelques-uns d’entre eux sont nés dans l’établissement, d’autres ont vu le jour dans l’Yorkshire, cette terre nourricière des chevaux, ou dans d’autres parties de la Grande-Bretagne ; mais ils sont tous dressés uniquement pour la course. Je m’arrêtai devant une jument qui porte le nom de Little Lady (petite dame), et qui est la favorite de lady Stamford. Cette dernière prend plaisir à lui donner de sa propre main des pommes, des oranges, des gâteaux et d’autres friandises. Ce qui appela surtout mon attention, c’était l’amitié de cette jument pour un chat qu’elle s’amusait à caresser et à poser délicatement sur son dos avec la bouche. Ces sortes d’attachemens ne sont pas rares dans les écuries anglaises[1]. On cite par exemple Chillaby, un cheval de course très féroce, qu’un seul groom osait approcher, et qui portait une affection très tendre à un agneau ; il passait des heures à écarter les mouches qui tourmentaient son ami. Les chefs des écuries se gardent bien de contrarier ces inclinations. Les chevaux pur sang ressemblent, disent-ils, aux jolies femmes ; ils ont leurs fantaisies, leurs caprices, qu’il faut respecter ; cela les tient en belle humeur, les attache à leur cellule, et les rend plus dociles durant les longues heures de solitude et

  1. Un cheval devait figurer, il y a quelque temps, dans des courses qui ont lieu tout a l’extrémité du nord de l’Angleterre ; le favori de ce cheval (c’est un chat que je veux dire) fut envoyé dans une corbeille par le chemin de fer.