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des chemins et des enclos privés qui s’étaient ouverts ce jour-là pour l’attrait de quelques pence ; car tout le monde spécule à sa manière sur le Derby, et les moindres lanes deviennent volontiers ce que les Anglais appellent une route de commerce (commercial road). Notre véhicule n’était pourtant guère approprié à ces allées étroites bordées de marronniers en fleur, de sorte que nos chapeaux étaient abattus et nos visages fouettés par les branches. Nous mîmes ce petit inconvénient sur le compte de la fortune, qui poursuit tout ce qui s’élève, et nous maintînmes tant bien que mal notre position sur le faîte de la haute voiture en nous courbant devant les obstacles. Après avoir traversé quelques rues d’une petite ville, nous nous trouvâmes enfin sur une immense plaine découverte, où il y avait des tentes, des gypsies, des baraques, de vieux poneys dételés, des singes à cheval sur des chiens, des boxeurs, et tout le mob de Londres. Nous étions à Epsom.

La célébrité d’Epsom est très ancienne et remonte bien au-delà de l’institution du Derby. Il y a près de deux siècles et demi qu’on se rendait dans ce même endroit pour prendre les eaux. La tradition rapporte la découverte de cette source minérale à un nommé Henry Wicker. La chaleur de l’été avait desséché tous les étangs d’alentour, quand il découvrit dans un champ un petit trou plein d’eau dont il élargit l’ouverture pour abreuver son bétail. Les animaux altérés s’approchèrent avec avidité de la bouche du nouveau puits ; mais à peine eurent-ils goûté l’eau de la source, qu’ils témoignèrent pour ce breuvage la plus grande aversion. Cette circonstance étonna Wicker, qui en parla à ses voisins, lesquels en parlèrent à leur tour : le bruit en vint bientôt aux oreilles de la faculté. Les médecins ne tardèrent point à découvrir dans ces eaux toute sorte de vertus, et les malades accoururent non-seulement de toute l’Angleterre, mais aussi de l’Allemagne et de la France. Vers 1697, des bâtimens et une salle de bal s’élevèrent près du puits merveilleux, qu’on avait eu soin d’entourer d’un mur de brique, et une longue avenue plantée d’ormes y conduisait les visiteurs. La réputation des eaux d’Epsom se soutint jusqu’en 1706, quand un apothicaire de Londres, nommé Levingstone, acheta un terrain dans la ville, y établit une maison de jeu et ouvrit une autre source qu’il appela new wells (le nouveau puits). Il amassa d’abord beaucoup d’argent ; par malheur, le nouveau puits ne possédait aucune des vertus de l’ancien, les malades n’en tirèrent nul avantage pour leur santé, et, comme l’opinion publique distingue peu, la défaveur ne tarda point à atteindre l’une et l’autre source. La chimie porta enfin le dernier coup aux eaux d’Epsom en les vendant en poudre ou en sel. Je tiens ces détails de mon voisin, le turfite érudit. Il m’apprit en outre que ces vastes dunes d’Epsom