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tester l’union de toutes les classes de la Hongrie dans la revendication de la constitution nationale et dans la résistance aux prétentions autrichiennes ? Quelle issue à un tel débat, et comment l’Autriche n’aperçoit-elle pas ce qu’elle livre au hasard en le laissant se prolonger davantage ? Mais que dire de la Pologne ? N’est-ce point un inexplicable mystère que le courage passif et l’obstination religieuse de ce peuple aussi unanime dans sa protestation patriotique que si le joug de la conquête ne pesait sur lui que d’hier ? La Pologne apprend au monde qu’il n’est pas nécessaire de combattre par l’insurrection le gouvernement du conquérant étranger pour le rendre impossible sur une nation qui veut rester fidèle à elle-même. La Russie use rapidement les hommes qu’elle appelle au gouvernement de la Pologne, et l’on sait que le personnel des hommes capables est loin d’être nombreux dans les régions officielles de la Russie ; mais au sein même de la Russie toutes les classes sont travaillées par un esprit d’inquiétude, par un sourd malaise que trahissent des publications clandestines, par l’émotion de la jeunesse des écoles, par les préoccupations des classes nobles, par la résistance des serfs émancipés à payer les indemnités réclamées d’eux. Sous peu de mois, les assemblées de la noblesse seront réunies dans toutes les provinces de l’empire. L’agitation encore contenue ne se fera-t-elle pas jour dans cette représentation des classes éclairées et riches ? Nous le disions dès le jour où l’émancipation des serfs fut décidée : la compensation nécessaire du sacrifice que cette mesure impose à la noblesse russe, c’est l’avènement de cette noblesse à la vie politique et à la liberté. L’anneau inférieur de la chaîne de servitude qui liait les diverses classes de la nation russe a été brisé ; il faut que les anneaux supérieurs volent aussi en éclats. L’empereur Alexandre doit se hâter de décliner la responsabilité et de repousser le péril d’une dissolution anarchique de son empire. La meilleure voie qui lui soit ouverte, la plus honorable toujours, et en ce moment la plus sûre, est de préparer promptement une combinaison d’institutions représentatives, et de substituer au pouvoir arbitraire le régime des lois librement consenties par le pays. Nous avons pu lire plusieurs des publications qui circulent à Saint-Pétersbourg, le journal le Grand-Russe par exemple. Les Russes libéraux y tendent la main aux Polonais et posent d’audacieuses questions dynastiques. Hélas ! l’empereur Alexandre offrait naguère avec une honnête confiance sa médiation aux états divisés de l’Amérique. Ne serait-ce pas au gouvernement de Pétersbourg de chercher maintenant un médiateur entre lui et la Pologne, et peut-être bientôt entre lui et ces populations russes mécontentes, dont les organes secrets vont, dans leur fièvre d’innovation, jusqu’à renier les plus anciennes aspirations du patriotisme moscovite ? E. FORCADE.