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caractère ? Nul ne le sait, et nous disons à une révolution ardente de se résigner à un ajournement indéfini. Ces temporisations nous affligent sincèrement : elles ne suppriment pas les difficultés, elles les enveniment au contraire ou ne font que les déplacer. Nous craignons que la paix de l’Europe n’ait rien à y gagner, nous craignons d’assister prochainement à une nouvelle apparition de cette force des choses dont nous reprochions tantôt à M. Guizot de ne point tenir assez de compte. Dans quelle direction agira cette force des choses ? Il n’est point difficile de le pressentir. Contenu du côté de Rome, il faut appréhender que le mouvement italien ne se porte sur son autre objectif et n’aille éclater du côté de Venise. Peut-être M. de Cavour eût-il eu assez de prestige et d’adresse pour inspirer la patience à la révolution. Ses successeurs auront-ils conservé sur elle le magique ascendant du grand enchanteur ? On doit le souhaiter, et tous les amis prudens de l’Italie et de la paix générale doivent aujourd’hui faire des vœux pour que le parlement qui se réunira bientôt à Turin prête des forces à M. Ricasoli au lieu d’ébranler, en un moment si critique, un ministère qui a fait preuve à l’intérieur de beaucoup d’application et d’une grande activité, et qui a mérité l’estime des libéraux de l’Europe. On voit déjà par le langage des journaux et des correspondances de la péninsule que le mouvement italien, averti de l’obstacle qu’il rencontre à Rome, s’en détourne. et se dirige vers Venise. Pourra-t-on empêcher que le choc ait lieu de ce côté ? Tout dépend de l’autorité que le ministère italien pourra prendre sur le parlement. Évidemment les pouvoirs réguliers de la péninsule ne doivent pas considérer l’Italie comme déjà prête à entamer son duel final avec l’Autriche ; mais qui oserait dire que l’impossible ne sera pas tenté à travers ce sombre orage qui va s’amassant de jour en jour sur l’Europe orientale, et qui couvre l’Autriche avec sa Hongrie, la Russie avec sa Pologne et ses effervescences intérieures ?

Un secours moral arrive en ce moment à l’Italie. Le ministère belge est reconstitué, et le sage gouvernement du roi Léopold reconnaît le nouveau royaume italien. Là les hommes du parti libéral n’oublient point leurs affinités naturelles et ne démentent pas leur origine. Le président du cabinet belge, l’honorable M. Charles Rogier, a quitté dans ce remaniement le département de l’intérieur pour celui des affaires étrangères ; nous ne serions pas surpris que le désir d’attacher son nom à la reconnaissance de la dernière œuvre accomplie en Europe par la révolution libérale n’eût agi sur la détermination qui a fait passer M. Charles Rogier du ministère de l’intérieur au ministère des relations extérieures. La reconstitution du cabinet belge est marquée par la rentrée au pouvoir de M. Frère-Orban, un autre libéral conséquent, et dans lequel M. de Cavour avait su reconnaître un esprit parent du sien. M. Frère avait, on s’en souvient, quitté les finances à la fin de l’année dernière, à la suite du succès de la motion de M. Dumortier en faveur de l’admission de l’or dans la circulation monétaire de la Belgique.