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rendons que plus volontiers hommage à la vigueur d’argumentation, à la vive éloquence avec lesquelles il combat cette thèse de l’église libre dans l’état libre, à laquelle nous nous sommes ralliés. Ce n’est pas ici le lieu de répondre aux objections animées de M. Albert de Broglie ; nous dirons seulement qu’à y regarder de près, sa thèse contredit moins la nôtre qu’on ne le pourrait croire. Nous savons bien que, si l’église gagnait en Italie la liberté en échange du pouvoir temporel, le contre-coup de cette révolution se ferait immédiatement sentir dans la constitution de l’église au sein des autres nations catholiques du monde. La séparation du temporel et du spirituel à la tête du catholicisme bouleverserait partout les relations actuellement établies entre l’église et l’état ; le régime des concordats finirait. C’est justement en essayant de démontrer la nécessité des concordats que M. Albert de Broglie s’efforce de prouver la nécessité du pouvoir temporel des papes. Il apporte ainsi un argument nouveau dans la controverse, et l’on peut dire que du premier coup il l’a épuisée. Au fond, il semble que M. Albert de Broglie redoute moins le régime de la liberté pour l’église que les conséquences de ce régime pour l’état lui-même, surtout dans notre pays, qu’il croit éternellement condamné à la centralisation du pouvoir. Nous ne pouvons point ici exposer pour quels motifs nous voyons des sujets d’espérer là où il voit avec une pénétration acérée tant de motifs de crainte. Nous sommes, quant à nous, si fatigués des ambiguïtés, des équivoques, des malentendus qu’entretient chez nous le système des rapports de l’église avec l’état, nous sommes si frappés des obstacles que ce système a mis en France au développement et au succès de l’esprit libéral, que les difficultés que l’on rencontrerait en l’abandonnant ne nous inspirent qu’un souci médiocre. Là aussi on découvrirait que la liberté est chose laborieuse ; mais qu’importe, si l’on contraignait ainsi les adversaires invétérés de la liberté à devenir les plus infatigables à la revendiquer, les plus ardens à la défendre ? Il nous suffit que les catholiques n’aient pas le droit de nous accuser de leur tendre un piège, lorsque nous leur proposons des libertés que le clergé catholique pratique avec des degrés divers et avec succès en Amérique, en Belgique et en Irlande. Nous sommes persuadés que, si la révolution italienne réussit à conduire l’église dans l’arène ouverte de la liberté, c’est par là surtout que cette révolution aura rendu à l’esprit religieux et à l’esprit libéral dans le monde un de ces services qui attachent à jamais aux destinées de l’humanité le nom et l’influence d’un événement historique et d’une nation.

D’ailleurs qu’espère-t-on gagner pour le bien de l’Europe à retarder par une temporisation systématique le dénoûment de la question romaine ? A parler sérieusement, nous pensons que M. Rattazzi ne rapportera point à Turin le mot satisfaisant qu’il était venu chercher ici. Nous n’indiquons point le terme de notre intervention à Rome. Sans doute nous voudrions pouvoir retirer nos troupes ; mais nous attendons une occasion favorable et honorable. Quand se présentera cette occasion ? quel en peut être le