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La cause italienne, telle du moins que les Italiens la comprennent, continue à rencontrer chez nous d’illustres et d’éloquens adversaires, et le retard que nous mettons à résoudre la question romaine n’est pas de nature à décourager leur opposition éclatante à l’unité de la péninsule et leurs protestations infatigables en faveur du pouvoir temporel de la cour de Rome. Nous sommes contraints de signaler, parmi ces manifestations hostiles à la révolution italienne ; deux écrits importans : celui de M. Guizot, l’Église et la Société chrétiennes en 1861, et celui de M. le prince de Broglie, la Souveraineté du Pape et la Liberté de l’Église. On peut professer des opinions contraires à celles de M. Guizot, mais l’on ne saurait se refuser à l’admiration que commandent la sérénité de son esprit et l’élévation de sa parole. Nous savons gré à M. Guizot d’avoir exprimé franchement sa pensée sur les affaires d’Italie. Il n’est pas permis à des hommes qui, comme lui, tiennent de leur talent et de la grandeur de leur carrière une autorité incontestée sur l’esprit de leurs contemporains de garder le silence sur une crise aussi grave que celle de la révolution italienne. Nous n’avons qu’un regret, c’est qu’il n’ait pas parlé plus tôt. C’est avant les événemens, avant du moins que les affaires n’eussent pris un de ces tours qu’on ne peut plus modifier, que l’intervention de M. Guizot dans le débat des destinées italiennes eût été efficace. Même en résistant à ses conseils, on eût pu du moins dans une certaine mesure en tirer profit. Une œuvre telle que celle de M. Guizot ne saurait être appréciée à cette place avec les développemens qu’une si grave discussion comporte. Nous ne pouvons pourtant nous empêcher d’exprimer la surprise qu’elle nous a causée sur deux points. M. Guizot reproche à M. de Cavour et au mouvement italien d’avoir violé le droit pour arriver à l’unité. Il affecte de ne voir dans ce qui s’est passé qu’un agrandissement du Piémont par l’usurpation et la conquête. À nos yeux, tous les reproches qu’il adresse à M. de Cavour en les fondant sur ces données portent à faux. Peut-on en effet considérer l’unification de l’Italie, ainsi qu’on l’eût fait au siècle dernier, comme une simple entreprise de l’ambitieuse maison de Savoie ? Voit-on là un Frédéric II agrandissant la Prusse par des conquêtes, des changemens d’alliances et par un pacte inique tel que le partage de la Pologne ? Le politique contemporain et l’historien doivent reconnaître que le mouvement italien est sorti de la passion de l’indépendance nationale et de l’inspiration la plus naturelle et la plus légitime du patriotisme. C’est là qu’il faut porter le débat, lorsqu’on veut scrupuleusement discuter la question de savoir si l’Italie a eu le droit de changer sa constitution politique. Or à cet égard le doute même n’est pas possible. L’aspiration à l’indépendance n’a-t-elle pas précédé d’un demi-siècle la coopération que la maison de Savoie et le gouvernement piémontais ont donnée à cette cause ? Toutes les parties de l’Italie n’ont-elles pas fourni des soldats, des apôtres, des martyrs à cette idée bien avant que le cabinet de Turin s’y fût associé ? En retour, quand, par l’habile et courageuse initiative de M. de Cavour, le gouvernement piémontais, le seul na-