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disparaissait pendant une ou deux minutes, puis il remontait, jetait l’éponge dans le fond du bateau et reprenait sa position. C’était un spectacle étrange que de voir ces hommes au regard perçant suivre des yeux le fond de l’onde, s’y plonger tour à tour et revenir à la nage avec autant de laisser-aller que des animaux marins. La plupart des belles éponges viennent de Chypre et d’Asie-Mineure. Les plus fines et les plus régulièrement arrondies se trouvent dans les enfoncemens abrités contre le mouvement des flots ; on conçoit qu’elles soient difficiles à découvrir et à arracher. M. Tardieu, de Chypre, m’a donné une éponge qui est peut-être la plus belle de toutes celles que les naturalistes connaissent, soit à cause de sa taille prodigieuse, soit à cause de sa parfaite régularité ; on peut la voir dans les galeries du Jardin des Plantes. On lui a construit une vitrine spéciale.

Les animaux domestiques sont tellement liés à la destinée de l’homme, qu’il suffit de les passer en revue pour deviner plusieurs traits du caractère d’une nation. Les laborieux habitans de nos campagnes ont deux aides indispensables : le chien de berger, le chien de chasse. En Chypre, on s’occupe à peine de former des chiens de chasse et de berger. Vous voyez bien quelques lévriers, mais ils sont rares et négligés. Tous les autres chiens sont de la famille de ces bêtes hideuses de Constantinople, images de la vie paresseuse des populations musulmanes. Ils n’ont point de maîtres ; ainsi ils ont perdu jusqu’à ce caractère de fidélité qui distingue le chien de tous les autres êtres. Ils vont mendier leur nourriture par les rues infectes des villages ; les habitans ne les chassent point, car ces pauvres animaux favorisent leur paresse en leur épargnant la peine de jeter au loin les immondices. Sans les chiens, combien de pestes ravageraient les états musulmans !

Le cheval est l’auxiliaire le plus puissant des peuples guerriers. L’Arabe se sert de son cheval non-seulement pour guerroyer, mais pour franchir les vastes espaces qui séparent les oasis où il promène sa vie errante. Maîtres d’un sol peu étendu dont la fécondité est intarissable, à l’abri par leur position au milieu des mers de toute autre invasion que celle d’une armée navale, les Cypriotes n’eurent point besoin de nourrir de nombreux coursiers. Ils ont des chameaux pour transporter les riches récoltes des plaines, et des mules pour traverser les régions montagneuses. Ces animaux coûtent moins que les chevaux, et ils portent de plus lourdes charges : à la vérité ils ont un pas très lent ; mais les Orientaux ne connaissent pas le prix du temps, et la lenteur de la mule et du chameau est en harmonie avec leur caractère indolent. Comme il n’y a point en Chypre de routes de charrettes, tout est porté à dos de bête ; aussi