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se joueront dans les eaux. Les productions de Chypre appartiennent à cette grande région naturelle qui est appelée région de la Méditerranée ; la nature de cette île se rapproche singulièrement de celle des autres îles de cette mer et des contrées qui l’environnent. Il est probable que, même dans la région méditerranéenne, il n’y a pas eu un seul centre de création duquel seraient partis tous les animaux et toutes les plantes ; la Providence a dû créer à la fois les mêmes espèces sur un grand nombre de points. En effet, à Chypre et dans les diverses îles, on voit des espèces de mollusques terrestres et d’autres animaux dont les facultés de locomotion sont bornées, et qui cependant se retrouvent dans plusieurs pays. sans doute les hommes en ont introduit quelques-unes, et les vents, ces habiles messagers qui transportent tant de germes, ont aidé à la dissémination des plantes et de quelques animaux ; mais ils n’ont pu à eux seuls propager tant de milliers d’êtres qui peuplent chacune des grandes régions naturelles du globe. Probablement la plupart des espèces ont été créées sur le sol de Chypre.

Parmi les animaux qui se trouvent dans l’île, il en est de nuisibles ; si belle que soit la nature, partout elle nous offre des obstacles à vaincre. Je citerai les scorpions, un serpent cornu nommé céraste et un aspic fort dangereux. Cet aspic est d’une couleur noirâtre et d’un aspect hideux. Un âne, piqué près de l’endroit où nous avions établi notre tente, mourut en quelques heures. Fréquemment des hommes ont péri mordus par des aspics ; aussi le nom seul de ces animaux glace les Cypriotes de terreur. On les rencontre principalement dans les blés ; les moissonneurs, dans quelques endroits, attachent des sonnettes aux faucilles dans l’espérance de les éloigner. Cette coutume est d’autant plus étrange qu’ils donnent aux aspics le nom de couphi (sourd). Un cap de Chypre porte le nom de Cap-des-Chats, parce qu’on y avait rassemblé un grand nombre de chats. Ces animaux étaient destinés à détruire les serpens : ils les saisissaient près de la tête et les mettaient dans l’impossibilité de mordre. « Le premier duc de Chypre, dit Etienne de Lusignan, fit bastir un monastère de moynes de l’ordre de Sainct-Basile, et donna tout le promontoire des Chats à ce monastère, à telle condition qu’ils seroient tenus d’y nourrir tous les iours cent chats pour le moins, auxquels ils bailleraient quelque viande tous les iours au matin et au soir, au son d’une petite cloche, afin qu’ils ne mangeassent pas touiours du venin, et le reste du iour et de la nuict allassent à la chasse de ces serpens. »

Les plus grands ennemis de la prospérité de Chypre sont les sauterelles. Un chroniqueur du XVe siècle raconte que pendant trois années elles dépouillèrent les arbres de telle sorte qu’on eut pu se