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de pierreries que les trésors du roi Crésus, » Les templiers, les Français et les Vénitiens dominèrent à Chypre tour à tour. On voit encore les restes de plusieurs monumens du moyen âge, la tour de la Commanderie des templiers à Colossi, la basilique et la salle des Chevaliers à Nicosie, l’abbaye de Lapaïs, les trois châteaux de Cantara, de la Reine et de Dieu-d’Amour, placés sur les cimes de la chaîne de Cérines, où ils semblent comme suspendus dans les airs. Famagouste était le port de guerre des Vénitiens ; ses murailles entourées de tranchées profondes, ses floches gothiques alternant avec de nombreux palmiers, ses restes d’arceaux, de colonnades et de fenêtres en ogive, font du panorama de ses ruines une des merveilles de l’Orient. Puisque la prospérité de Chypre se perpétua pendant un si grand nombre de siècles à travers de continuelles vicissitudes dans les gouvernemens, malgré des guerres, des pestes, des tremblemens de terre, elle a sans doute dépendu du sol lui-même, car le sol est l’unique source de trésors qui brave le pouvoir destructeur de l’homme et du temps. L’étude des produits naturels de l’île en fournira la preuve.

Aujourd’hui le joug musulman pèse sur Chypre ; avec la liberté, le bonheur s’est enfui. Cependant il est incontestable que le sol des plaines a conservé une extrême fertilité ; les soies de Paphos, les vins de la Commanderie ont encore une juste célébrité, et, si l’on considère combien la population est rare et indolente, on s’étonnera de la valeur des productions. Chypre, qui a renfermé, dit-on, près de trois millions d’habitans, n’en possède pas deux cent mille aujourd’hui ; les deux tiers sont Grecs, un tiers est Turc. L’île est gouvernée par un pacha.

Larnaca fut le centre de nos explorations ; c’est la seule ville qui offre des ressources à un Européen. Les quelques Français qui y habitent jouissent d’une grande considération. Dans nos voyages, Christodouli, intelligent comme un Grec, nous servait de guide ; Mustapha, indolent comme un Turc, remplissait les fonctions de garde d’honneur ; des kéradgis conduisaient les mules chargées de caisses destinées à nos récoltes scientifiques. Nous nous mettions en marche avec l’aurore ; avant midi, nous gagnions un ombrage. Midi dans les campagnes de l’Orient est une heure aussi calme que minuit ; les hommes, les animaux sont tous ensevelis dans le sommeil ; aucun oiseau ne fait entendre son chant ; les fleurs même se penchent sur leur tige, on dirait qu’elles dorment. Dans le ciel, tout est bleu ; sur la terre, tout est également inondé des rayons du soleil. Je n’avais guère le temps de partager cette sieste universelle de la nature ; je rassemblais les matériaux d’une carte géologique et d’une carte agricole de l’île ; j’étiquetais les roches que j’avais recueillies, je faisais sécher des plantes pour former un herbier ; quelquefois aussi