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III.

Ainsi le gouvernement représentatif a pour lui le témoignage imposant de l’expérience la plus décisive : expérience nationale, expérience voisine, partout couronnée d’ordre, de richesse et de tous les succès où peut prétendre un peuple. Bien lui en prend d’être aussi solidement assis dans les faits et de pouvoir montrer ce qu’il sait faire d’une nation, car au point de vue théorique, envisagé a priori, il ne fait pas grande figure : c’est du moins une des notions qui ont le plus besoin d’être expliquées, et qui comportent le plus de cas réservés à des temps meilleurs, ou même exceptés absolument. On ne voit pas qu’il réponde tout d’abord à quelque grand idéal, ou de liberté, ou de vertu, ou d’universalité.

En premier lieu, la plus haute manière d’être libre, ce n’est pas d’être représenté ; c’est d’être souverain en personne sur la place publique, c’est d’exécuter directement à ciel ouvert (quand le ciel le permet, comme en Grèce) ces grands exercices politiques qui consistent à légiférer, à juger, à élire les magistrats, à décréter la paix ou la guerre.

En second lieu, on peut dire, comme a fait Montesquieu, que le principe de la république est la vertu : mais à l’égard du représentatif en est-il de même ? Ici tout dépend de ce qui sera représenté. Ainsi on ne peut pas dire que représentation soit le nom d’une chose essentiellement bonne et désirable, comme la tolérance religieuse, l’impôt proportionnel, la publicité judiciaire, etc., la chose ne vaut que par une infinité de conditions qui ne tiennent pas dans son nom, et qu’il faut ajouter à son essence.

En troisième lieu, il est clair que ce gouvernement n’est pas applicable partout. Exceptons d’abord les peuples ou les tribus qui ne supportent aucun gouvernement, tels que les sauvages de l’Amérique du Nord : ils ont avant tout quelque chose à apprendre, une façon, une contrainte à opérer sur eux-mêmes, qui est de savoir obéir. Cela ne vient pas aux hommes aussi facilement que nous pourrions le croire, et pour peu qu’on y pense, on s’aperçoit que ce progrès est peut-être moralement supérieur à celui par lequel ils veulent être libres. Comprendre le droit des autres est encore mieux que de comprendre son droit.

Telle est la difficulté de ce progrès, qu’il n’y en a guère d’exemples. Tel est l’attrait de la sauvagerie, qu’on la voit plutôt conquérir des civilisés que se convertir en civilisation. Il est fort imaginaire de dire avec Condorcet que les hommes commencent par composer simplement des tribus de chasseurs, qu’ils s’élèvent ensuite à l’état