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goûts, les œuvres, on peut être bref là-dessus, jamais génération n’ayant fait son propre éloge comme celle à laquelle on a l’honneur d’appartenir.

En revanche on pourrait être prolixe sur les bienfaits économiques de la liberté ; mais cela est sujet à certaines distinctions.

Il n’est pas clair que tout ici appartienne uniquement et nécessairement à la liberté. Quelquefois un peuple se rue en fabrique et se livre éperdument à ses facultés productives, parce qu’il a longtemps pâti et qu’il rencontre après mainte angoisse une liberté et une sécurité relatives. Telle fut la France, soit sous Henri IV, soit sous la régence, et l’on pourrait attribuer à la même cause cette reprise, cette ferveur des affaires qui se montra dès les premières années de la restauration. Pour peu qu’une nation respire, tout d’abord elle se met à vivre, cela est si naturel ! et elle y porte ce besoin de réfection qui succède à l’épuisement des longs efforts, une ardeur et une vitalité de convalescent. — Toutefois dans le progrès économique de la France deux choses tiennent visiblement à la liberté : je veux parler du crédit public et des développemens de la Banque de France.

Payer toutes les dettes de l’état, même les dettes contractées par le prédécesseur, par l’usurpateur, c’est ce que fit le gouvernement de la restauration, et cela sent tout d’abord un gouvernement responsable. Le bénéfice en fut immédiat ; on revit des emprunts, ce que la France avait eu le temps d’oublier depuis Necker. Je trouve dans un écrit de l’abbé de Pradt un fait peu connu, je crois, l’histoire d’une tentative d’emprunt sous l’empire, la seule qu’on ait vue à cette époque. Il s’agissait de 12 millions demandés par le roi de Saxe à la place de Paris, à 10 pour 100, avec l’hypothèque des mines de sel de Viczica, avec la garantie du gouvernement français : or 7 millions seulement s’offrirent sur toutes ces sûretés, et encore la bonne moitié en était faite par l’empereur. Tel était à cette époque l’état du crédit. Grâce à la liberté, la France envahie put emprunter, faire honneur à tous ses engagemens et fermer non pas précisément l’abîme des révolutions, mais celui des banqueroutes. Qui osera faire désormais ce qui ne se fit pas après vingt-cinq ans de guerre, dans l’épuisement des défaites et de l’invasion ?

Quant à la Banque de France, elle prit le caractère d’un établissement privé, indépendant, surveillé sans doute par l’état pour le bien du public, mais non exploité par l’état pour son propre bien, au gré de ses besoins. Notez que ce caractère est le seul où cet établissement puisse servir le public et l’état, surtout l’état. Est-il dans la dépendance du trésor, il passe pour manufacture d’assignats, et tout est perdu : il ne faut plus compter du moins sur ces avances de