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s’imposant et profitant à tout ce qui les a suivies. Je supprime les détails ; je rappelle seulement que telles révolutions éclatèrent sans échafaud ni banqueroute, que tel intérim de tous les pouvoirs publics dont nous avons été témoins de nos jours ne fut pas le déchaînement de tous les méfaits. C’est que la liberté est un cours permanent de morale publique. Comme l’égoïsme des castes et des dynasties a cessé d’être un droit et n’oserait s’avouer, comme les partis se perdraient à penser tout haut, on ne peut user de la faculté de tout dire que pour professer le bien public ; ce qui est d’une certaine conséquence. Il reste toujours des motifs bas, des passions cupides au fond des cœurs ; mais il n’en peut sortir qu’un exposé de prétextes éminemment propre à cultiver le sens moral des peuples, à fortifier les principes patens de la constitution, à lier les conduites par le langage et peut-être même la conscience de l’hypocrite par ses propres déclamations.

En même temps qu’elle était l’école des mœurs, la liberté fut une explosion des capacités politiques répandues dans le pays, jusque-là inertes et peut-être ignorées d’elles-mêmes. À l’appel des élections, aux épreuves de la tribune et du gouvernement, on vit sous un aspect nouveau ce que c’est que la France et ce que vaut la liberté. D’où venaient-ils donc ces ministres, ces orateurs, cette assemblée qui durait encore en 1820, et dont l’éloquence était le moindre mérite ? D’où tombaient-ils ces inconnus, étrangers jusque-là aux affaires publiques, et qui parurent tout à coup avec tant d’éclat et de services ? Il est certain que la France eût beaucoup perdu à laisser dans l’ombre cette partie d’elle-même, et l’on peut douter qu’ un monarque absolu eût été découvrir et mettre en lumière ces précieux serviteurs dont l’un osa bien dire qu’il fallait planter le drapeau royal au milieu du pays, forte parole que l’on n’eut garde de comprendre.

Outre l’occasion politique offerte aux esprits, la liberté portait en elle un principe de vie qui éclata dans la renaissance des arts et des lettres. En quel abîme était tombée la France ! L’école de David, les romans de Pigault-Lebrun, d’infiniment petites comédies étaient toute la joie de nos pères. Au sortir de cette indigence, nous eûmes des poètes d’une lyre inouïe, des érudits à sens pittoresque, des critiques faits comme des historiens, tandis que les historiens eux-mêmes touchaient à l’art et à la philosophie. Chaque genre s’élevait au-dessus de lui-même, manié par des esprits puissans et créateurs. Nous eûmes surtout des philosophes de l’histoire, sans préjudice des psychologues qui empruntèrent à l’Ecosse son imagination, à l’Allemagne sa lumière. Il n’est pas besoin de dire que ces grands esprits firent école et rallumèrent tout ce qui s’éteignait, les études, les