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II

Personne ne se trompait en voulant la France libre ; il faut dire aussi que la liberté ne trompa personne.

Je vais tout d’abord à son plus grand titre, au progrès moral qu’elle répandit soit dans le public, soit dans le gouvernement, sous forme de droiture, d’humanité, de modération, de sentiment des convenances et de l’honneur. Les rapports entre gouvernans et gouvernés devinrent alors ce qu’ils n’avaient jamais été, — l’état cessa d’être le faux monnayeur, le banqueroutier, le Dracon qu’il était si volontiers autrefois. Il fit cet effort de payer toutes ses dettes. Il tempéra la terreur qu’il avait mise dans ses codes à l’article des complots, et même un peu partout. Les cruautés disparurent, et la peine de mort, qui n’en est pas une, devint elle-même plus rare dans nos lois, plus rare même dans la pratique ; il serait malséant de ne pas rappeler ici que le droit de grâce s’exerça quelquefois d’une manière magnanime, héroïque. La justice soupçonna qu’un accusé n’est pas nécessairement un coupable, et ses arrêts comme ses procédés s’en ressentirent. La police même et la prison eurent leurs accommodemens, leur douceur.

On serait désolé de faire des phrases. Cependant il faut bien dire qu’on se fit alors une idée assez haute du traitement qui convient aux hommes en cette simple qualité, fussent-ils nègres, malfaiteurs, insolvables, écoliers, soldats, mendians, fous à lier. Je ne sais quoi d’humain et de sensé pénétra partout. On abolit la traite des noirs, les loteries, les maisons de jeu, on établit de toutes parts des écoles primaires et des caisses d’épargne ; mais surtout on inventa, on pratiqua même jusqu’à un certain point une vertu nouvelle, c’est-à-dire l’honneur politique, la fidélité des hommes et des partis à leurs engagemens, à leur passé et même à leurs erreurs. C’est qu’en effet le respect de nos erreurs fait partie du respect de nous-mêmes : une expiation quelquefois. Si vous changez de conduite politique (je ne parle pas du changement d’idées, sommes-nous maîtres de nos idées ?) sous prétexte de la lumière qui s’est faite en vous, de l’ancienne erreur qui vous a quitté, vous tenez le langage des acrobates, je vous préviens de cela, et il vous reste à prouver que vous n’en avez pas les sentimens.

Enfin ce pays, qui n’avait encore eu, comme dit M. Thiers, que l’éducation peu morale du despotisme et des révolutions, prit des mœurs nouvelles en s’adonnant aux pratiques viriles de la liberté. Il parut, il s’établit parmi nous, grâce aux institutions parlementaires, un adoucissement et une élévation générales qui leur ont survécu,